Dans la voix de femmes inspirantes

Publiée le 19 mars 2025

Dans la voix de femmes inspirantes

Grand oral citoyen

Des jeunes Courneuvien·nes ont interprété des textes féministes lors du concours d'éloquence Le Grand Oral citoyen.

À partir de fin novembre 2024, la Ville a accompagné vingt-quatre jeunes dans le cadre du Grand Oral citoyen, un projet déployé sur toute la France et installé dans les espaces Jeunesse à La Courneuve. L’actrice Cécile Paoli, la coach en art oratoire Sonia Soum et le formateur spécialiste de l’inclusion Hamou Bouakkaz ont animé cette préparation afin que les jeunes, répartis par tranche d’âges (11-14 ans et 15-18 ans) s’approprient de grands textes féministes et travaillent leur éloquence. 

Après près de dix séances, neuf jeunes Courneuvien·nes ont été sélectionnés pour interpréter leur discours devant un jury et un public. Cette présentation s’est déroulée à l’auditorium du centre des Archives diplomatiques le samedi 8 mars, lors de la Journée internationale des droits des femmes. Étaient notamment présents Nadia Chahboune, adjointe au maire, Anne-Marie Descôtes, secrétaire générale du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, Jean-Pierre Asvazadourian, haut fonctionnaire à l’Égalité, la Diversité et la Prévention des discriminations, et Nicolas Chibaeff, le directeur général des Archives. 

Après la projection d’un petit making of, les jeunes ont pu réciter (sans notes !) de grands discours de femmes. À la suite d’une délibération, le jury a proclamé vainqueure Amani Djazouli, les jeunes Sanae Hebbach et Amir Boulfred finissant deuxième et troisième. Tous les participant·es se sont alors vus gratifier par le ministère d’un roman-jeunesse, Mystère au Quai d’Orsay, de Pierre Gemme.

Nicolas Liébault ; photos : Nicolas Vieira

Amani Djazouli, 13 ans, gagnante du Grand Oral citoyen

Amani
Texte

« Louise Weiss m’a impressionnée » 

« Élève au collège Jean-Vilar, j’ai connu le projet par le biais de la Maison pour tous Cesária-Évora. 

Pendant les trois mois de préparation, j’ai appris beaucoup de vocabulaire, et aussi à parler plus lentement ! Entre candidats, nous nous soutenions beaucoup, nous corrigions nos erreurs entre nous. 

« Cela m’a plu que des garçons veuillent lire des textes féministes. »

Quand j’ai regardé la vidéo du discours de Louise Weiss, la manière dont elle parle, les mots employés, sa voix m’a paru impressionnante. Je me suis alors renseignée sur elle. 

Pour moi, le 8-Mars est important pour que les femmes se sentent libérées. Cela m’a d’ailleurs plu que des garçons veuillent lire des textes féministes. Un garçon, Amir, a même fini troisième. »

Les textes lus

  • Emma Watson, « l’égalité de sexes est aussi votre problème », Discours à l’ONU, 2014 lu par Zakaria Ben Romdhane 

« Je m’adresse à vous en ce jour, car j’ai besoin de votre aide. Nous souhaitons mettre fin aux inégalités entre les sexes, et pour y parvenir, l’implication de tous est indispensable. (…)

J’ai été nommée il y a six mois et depuis, plus je parle de féminisme, plus je réalise que la lutte pour les droits des femmes est trop souvent associée à la haine des hommes. S’il y a bien une chose dont je suis certaine, c’est que cela doit cesser.

Pour mémoire, le féminisme se définit comme « la conviction que les hommes et les femmes doivent jouir des mêmes droits et des mêmes chances. C’est cela la théorie politique, économique et sociale de l’égalité des sexes ».

J’ai commencé à m’interroger sur les préjugés liés au genre à l’âge de huit ans, lorsque j’ai eu du mal à comprendre pourquoi on me qualifiait d’« autoritaire » pour le simple fait de vouloir mettre en scène les pièces que nous allions jouer devant nos parents, ce que l’on ne reprochait pas aux garçons.

Lorsqu’à 14 ans, certains journaux ont commencé à me sexualiser.

Lorsqu’à 15 ans, mes amies ont abandonné leurs équipes de sport parce qu’elles ne voulaient pas paraître « trop musclées ».

Et lorsqu’à 18 ans, j’ai réalisé que mes copains étaient incapables d’exprimer leurs sentiments.

Je me suis dit que j’étais féministe et cela m’a paru tout naturel. Mais mes récentes recherches m’ont montré à quel point le féminisme est devenu impopulaire. […]

Aucun pays dans le monde ne peut aujourd’hui se prévaloir d’être parvenu à instaurer l’égalité entre les hommes et les femmes.

Ces droits sont, à mon sens, des droits fondamentaux de l’humain. Mais je fais partie de celles qui ont de la chance. Je suis une grande privilégiée, car mes parents ne m’ont pas moins aimée parce que j’étais une fille. Mon école ne m’a pas imposé de limites parce que j’étais une fille. Mes tuteurs ne sont pas partis du principe que j’irais moins loin parce que j’étais susceptible d’avoir un jour des enfants. Toutes ces personnes ont été les ambassadrices de l’égalité des sexes qui ont fait de moi celle que je suis aujourd’hui. Elles ne le savent peut-être pas, mais elles sont les féministes involontaires qui sont en train de changer le monde d'aujourd'hui. Et nous avons besoin de plus de gens comme ça.

Et si vous n’aimez toujours pas ce mot, sachez qu’il importe moins que les idées et les aspirations qu’il renferme. Parce que toutes les femmes n’ont pas eu les mêmes droits que moi. En effet, statistiquement, rares sont celles qui en ont bénéficié.

Messieurs, j’aimerais profiter de cette opportunité pour vous inviter formellement. L’égalité des sexes est aussi votre problème. 

Parce que, jusqu’à présent, la société a considéré que mon père avait un rôle moins important à jouer dans mon éducation que ma mère, alors que j’avais besoin de lui tout autant. 

J’ai vu des jeunes hommes qui souffraient de troubles psychiatriques, mais qui ne demandaient pas d’aide, par crainte d’avoir l’air moins « viril ». Au Royaume-Uni, le suicide est la principale cause de mortalité chez les hommes de 20 à 49 ans, devant les accidents de la route, le cancer et les maladies cardiovasculaires. J’ai vu des hommes fragilisés et peu sûrs d’eux essayer de se conformer à ce qu’ils pensaient être le succès au masculin. Les hommes souffrent également de l’inégalité des sexes.

Nous parlons peu des hommes qui sont prisonniers de stéréotypes liés au genre, mais je sais qu’il y en a, et que le jour où ils parviendront à s’en libérer, la situation des femmes s’en verra spontanément améliorée. 

Si les hommes n’ont plus besoin d’être agressifs pour se faire accepter, les femmes ne se sentiront plus obligées d’être soumises. Si les hommes n’ont plus besoin de dominer, les femmes n’auront alors pas à être dominées. 

Les hommes, au même titre que les femmes, ont le droit d’être sensibles. Les hommes, tout comme les femmes, devraient se sentir libres d’être forts… Il est grand temps que nous appréhendions l’égalité comme un spectre, au lieu d’y voir deux idéaux distincts et opposés. (…)

Je veux que les hommes relèvent ce défi, afin que leurs filles, leurs sœurs et leurs mères n’aient pas à subir un quelconque préjudice, mais aussi pour que leurs fils puissent se montrer vulnérables et humains, en reprenant possession de ces parties d’eux-mêmes qu’ils avaient mises de côté, afin de parvenir à une version plus vraie et plus complète d’eux-mêmes. »

  • Nellie McClung, Les hommes devraient-ils voter ? 1914, lu par Eden Diomande et Zyad Chelki 

Messieurs de la délégation,

 

Je suis très heureuse de vous accueillir ici aujourd'hui - nous aimons les délégations, et bien que ce soit la première fois que vous nous demandez le droit de vote, nous espérons que ce ne sera pas la dernière. […] Nous voulons aussi vous féliciter pour la manière calme et distinguée dont vous êtes venus à nous aujourd'hui [..] Mais je ne peux vous accorder ce que vous êtes venus me demander, car les faits sont tous en votre défaveur ! […]

 

Le droit de vote des hommes plongerait notre belle province dans une vraie débauche d'extravagance, un vrai cauchemar de dépenses. [...] Oh que non, l'homme a été conçu pour un dessein plus important et sacré que celui de voter. Les hommes sont faits pour s'occuper de leur famille et de leur maison, qui sont les fondations mêmes de la nation. Qu'est-ce qu'un ménage sans père ? Qu'est-ce qu'un ménage sans compte en banque ? [...] Devrais-je attirer les hommes loin de l'utile charrue et de la nécessaire herse pour qu'ils débattent dans les rues de choses qui ne les concernent pas ? [...]

 

Aux États-Unis d'Amérique, quand les hommes votent, leurs mariages finissent invariablement en divorces, car la politique perturbe les hommes, et les hommes perturbés omettent de régler les factures, brisent les meubles et rompent leurs vœux. Quand vous me demandez le droit de vote, vous me demandez de briser des ménages paisibles et heureux et de détruire la vie d'innocents, et je vous le dis encore en toute franchise : je ne le ferai pas. Je suis une femme traditionnelle, je crois aux liens sacrés du mariage.

 

[...] Les hommes en politique nous ont donné plusieurs exemples malheureux - Néron, Hérode, le roi Jean ne sont pas des héros dignes de ce nom, et pourtant, vous voulez que nous en fassions des exemples à suivre pour nos jeunes ; je me demande si un homme a déjà osé réclamer le droit de vote à la lumière de tels exemples.

 

[...] Ce n'est pas avec vos petits cerveaux que vous pouvez comprendre ce que c'est que de diriger un gouvernement tel que le nôtre. Vos cerveaux ne deviennent pas plus gros que ceux de petits garçons. Mais vous pensez que vous pouvez me donner des ordres à moi, une femme qui dirigeait déjà des gouvernements alors que vous étiez encore dans votre chaise haute à tambouriner sur une assiette d'étain avec votre cuillère !

[...] Mon vœu le plus cher pour cette merveilleuse terre promise est que je vive encore longtemps pour décider de son sort parmi les autres nations de la terre. […] [Je dois continuer avec le ferme espoir de vivre encore longtemps pour rester le fier porte-étendard du grand drapeau de cet admirable parti, qui est tombé en disgrâce à maintes reprises, mais qui, Dieu merci, n'a jamais connu la défaite !

 

  • Simone Veil, discours en faveur de l’IVG, 1974, lu par Yasmine Lachkar 

Pour quelques-uns, les choses sont simples : il existe une loi répressive, il n’y a qu’à l’appliquer. D’autres se demandent pourquoi le Parlement devrait trancher maintenant ces problèmes : nul n’ignore que depuis l’origine, et particulièrement depuis le début du siècle, la loi a toujours été rigoureuse, mais qu’elle n’a été que peu appliquée. […]

Pourquoi donc ne pas continuer à fermer les yeux? Parce que la situation actuelle est mauvaise. Je dirais même qu’elle est déplorable et dramatique.

Elle est mauvaise parce que la loi est ouvertement bafouée, pire même, ridiculisée. Lorsque l’écart entre les infractions commises et celles qui sont poursuivies est tel qu’il n’y a plus à proprement parler de répression, c’est le respect des citoyens pour la loi et donc l’autorité de l’État qui sont mis en cause.

Lorsque les médecins, dans leurs cabinets, enfreignent la loi et le font connaître publiquement, lorsque les parquets, avant de poursuivre, sont invités à en référer dans chaque cas au ministère de la Justice, lorsque des services sociaux d’organismes publics fournissent à des femmes en détresse les renseignements susceptibles de faciliter une interruption de grossesse, lorsque, aux mêmes fins, sont organisés ouvertement et même par charter des voyages à l’étranger, alors je dis que nous sommes dans une situation de désordre et d’anarchie qui ne peut plus continuer.

Mais, me direz-vous, pourquoi avoir laissé la situation se dégrader ainsi et pourquoi la tolérer ? Pourquoi ne pas faire respecter la loi ?

Parce que si des médecins, si des personnels sociaux, si même un certain nombre de citoyens participent à ces actions illégales, c’est bien qu’ils s’y sentent contraints ; en opposition parfois avec leurs convictions personnelles, ils se trouvent confrontés à des situations de fait qu’ils ne peuvent méconnaître. Parce qu’en face d’une femme décidée à interrompre sa grossesse, ils savent qu’en refusant leur conseil et leur soutien ils la rejettent dans la solitude et l’angoisse d’un acte perpétré dans les pires conditions, qui risque de la laisser mutilée à jamais. Ils savent que la même femme, si elle a de l’argent, si elle sait s’informer, se rendra dans un pays voisin ou même en France dans certaines cliniques et pourra, sans encourir aucun risque ni aucune pénalité, mettre fin à sa grossesse. Et ces femmes, ce ne sont pas nécessairement les plus immorales ou les plus inconscientes. Elles sont 300.000 chaque année. Ce sont celles que nous côtoyons chaque jour et dont nous ignorons la plupart du temps la détresse et les drames.

C’est à ce désordre qu’il faut mettre fin. C’est cette injustice qu’il convient de faire cesser.

 

  • Manal Al Sharif, Conduire pour la liberté, 2012, lu par Amir Boulfred 

Je dis toujours à ma mère : « Ils vont peut-être me mettre les menottes et m’envoyer derrière les barreaux, mais je n’accepterai jamais qu’ils menottent mon esprit.

Ils peuvent me briser les os, maman mais ils ne briseront jamais mon âme.

Après des années de passivité, à nous plaindre en murmurant, et après tant d’années à signer des pétitions et à attendre une réponse qui ne viendrait jamais, nous avons finalement décidé que le règne du silence était terminé.

Nous sommes passées à l’action pour modifier cette situation.

L’attente ne se conclut jamais par autre chose que plus d’attente et de frustration.

Mais tristement, même après un an, les femmes attendant toujours qu’un miracle arrive et améliore leur situation ; elles attendant toujours qu’un décret royal lève l’interdiction qui les empêche de conduire. Elles ne savent pas qu’elles sont les seules qui peuvent prendre la clé, s’asseoir derrière le volant et conduire, aussi simple que ça paraisse, aussi simple que ce l’est.

J’ai la conviction que les enfants ne peuvent être libres si leurs mères ne le sont pas, que les parents ne peuvent être libres si leurs femmes ne peuvent l’être ; la société ne vaut rien si les femmes ne valent rien.

Selon moi, la liberté prend racine à l’intérieur de nous.

Ici (dans mon cœur), je sais que je suis libre, mais là, en Arabie Saoudite, je suis certaine que la lutte ne fait que commencer, que la lutte prendra fin, mais je ne sais pas quand, que la lutte n’a rien à voir avec conduire une voiture. La lutte, c’est de se retrouver dans le siège du conducteur de notre propre destinée, c’est d’être libre pas seulement de rêver mais libre de vivre.

 

  • Joséphine Baker, Discours à la Mutualité, 1953, lu par Mayma Es-Safi 

Je combats la discrimination raciale, religieuse et sociale n’importe où je la trouve, car je suis profondément contre et je ne puis rester insensible aux malheurs de celui qui ne peut pas se défendre dans ce domaine, même si je la trouve en France. Du reste, je suis navrée d’être obligée de combattre car, à l’époque où nous vivons, de telles situations ne devraient pas exister.

Je lutte de toutes mes forces pour faire abolir les lois existantes dans différents pays qui soutiennent la discrimination raciale et religieuse parce que ces lois font croire à ces citoyens qu’ils ont raison d’élever leurs enfants dans cet esprit.

Quelle importance y a-t-il à ce que je sois noire, blanche, jaune ou rouge ? J’aime tout le monde et je voudrais être aimée en retour et je respecte toutes les religions et toutes les croyances.

Dieu, en nous créant, n’a pas fait de différence. Pourquoi l’homme voudrait-il le surpasser en créant des lois auxquelles Dieu même n’a pas songé ?

Dieu nous a créés libres, donc libres de notre cœur, de notre esprit, de nos idées, du moment qu’on respecte les idées des autres.

Comme la vie est drôle ! Les années passent mais ne se ressemblent pas.

Hier, j’ai été adoptée par vous et vous m’aviez surnommée l’enfant terrible de Paris.

Aujourd’hui, je suis devant vous parlant de problèmes graves. C’est parce que j’ai la même confiance en votre cœur aujourd’hui, que je l’ai eue, à mon arrivée en France, il y a vingt-neuf ans et je n’ai jamais été déçue.

Je savais dès le commencement que je vous aimerais avec fidélité et compréhension jusqu’à la fin de mes jours. Je savais le jour où l’on a décrété que j’étais l’enfant adoptive de Paris, qu’à partir de ce moment-là nos deux cœurs n’en formeraient qu’un.

Je savais, ce jour brumeux, quand le paquebot a quitté le port de New-York, que je trouverais le soleil à mon arrivée en France.

A mon premier contact avec vous j’ai été convaincue, à la façon dont vous aimiez les enfants, les vieillards et les animaux que nous étions faits pour nous entendre.

Je savais que ce n’était pas en vain que je vous avais donné mon amour.

Je savais également, en voyant la gaité de votre caractère, que vous étiez capables, en cas de nécessité, de surmonter n’importe quelle difficulté de la vie.

En somme, je savais que la France n’était pas mon pays d’adoption, mais qu’elle était mon pays tout court.

C’est pourquoi, peu après mon arrivée, j’ai adopté la nationalité française, car ici je me sens libre et heureuse de vivre et, au moment où l’on trouve le bonheur absolu et complet, on peut dire avec conviction : ceci est mon pays. Je suis très émue car vous savez bien que je ne suis pas une conférencière et je n’ai pas la prétention de l’être.

Mais retournons maintenant à nos problèmes raciaux.

La discrimination raciale et religieuse est tellement aiguë dans certains pays qu’elle s’y est enracinée et qu’elle fait partie des mœurs. On la trouve pratiquée entre les gens d’une même race et également race contre race, religion contre religion et dans les religions elles-mêmes.

Pour moi tout ce déséquilibre est un grand malheur. Je voudrais que tous les êtres se contactent pour mieux se connaître, se comprendre, s’apprécier et s’aimer. Je voudrais aussi que ceux qui se plaisent à semer le désordre, la confusion et la haine, laissent à l’être humain la liberté de l’élan de son cœur et la nature fera le reste.

Evidemment, pour beaucoup de personnes, ces sentiments ont l’air d’un rêve irréalisable. Pourtant je crois profondément dans la dignité de l’homme et je trouve que l’humilier c’est vexer Dieu.

Qui me prouve que ma religion est meilleure que la vôtre ou que la vôtre est meilleure que la mienne ?

Qui peut dire que votre point de vue de la vie est juste et le mien injuste ? Je crois que chacun porte ses religions et ses croyances dans son cœurs et que la religion est une expression de notre âme. Du reste aimer sincèrement est déjà une religion. 

 

  • Nina Bouraoui, extraits de Garçon manqué, 2000, lu par Sanae Hebbach 

Je ne vais plus sur la plage de Zeralda. Les baigneurs restent habillés. En pantalon noir et en chemise blanche. Les femmes attendent dans les voitures. Des voiles sur leur visage. Une main sur la bouche. La mer est sans hommes. Elle est toujours aussi belle. Elle est seule avec le ciel. Elle est désertée. Une mer sans chair. Les hommes parlent entre eux. Ils surveillent. Baignade interdite.

Zeralda est trop proche de la ville. De son malaise. Il faut aller plus loin. Vers Tipaza. Vers Bérar. Vers Cherchell. Et encore. Ce n'est jamais assez loin. C'est toujours dans les limites de l'Algérie. Cacher sa peau. Cacher ses cuisses. Cacher son ventre. Cacher ses épaules. La mer est un vice.

 ...
Nous restons à la plage jusqu'aux limites de la nuit. Les dernières heures sont roses et sans temps, lentes et pleines du souvenir du soleil, un feu qui quitte le sable, la peau, la forêt de pins cachée. Nous jouons encore. Contre la nuit qui vient. Je joue vite. Je suis précise. Je garde le ballon longtemps, avec ma tête, mon torse et mes pieds nus, avec mon corps sans peur. Je cours avec le bruit de la mer. Les vagues sont des voix. La sirène des cargos appelle les hommes de Zeralda. Ils viennent. La sirène rassemble. Tous ces corps qui s'ennuient.

Je sens la tendresse des hommes de Zeralda. Leur intérêt. Leur indulgence. Ils applaudissent. J'apprends à être devant eux. J'apprends à me montrer ainsi, changée. Ils me regardent. Seul mon corps captive. Je dis mon mensonge. Par mes gestes rapides. Par mon attitude agressive. Par ma voix cassée. Je deviens leur fils.

Ici je suis la seule fille qui joue au football. Ici je suis l'enfant qui ment. Toute ma vie consistera à restituer ce mensonge.

À le remettre. À l'effacer. À me faire pardonner. À être une femme. À le devenir enfin.

Toute ma vie reposera sur la perte du regard doux des hommes de Zeralda, une méprise sur ma personne.

Seul Amine sait mes jeux, mon imitation. Seul Amine sait mes envies secrètes, des monstres dans l'enfance. Je prends un autre prénom, Ahmed. Je jette mes robes. Je coupe mes cheveux. Je me fais disparaître. J'intègre le pays des hommes. Je suis effrontée. Je soutiens leur regard. Je vole leurs manières. J'apprends vite. Je casse ma voix.

Longtemps je crois porter une faute. Je viens de la guerre. Je viens d'un mariage contesté. Je porte la souffrance de ma famille algérienne. Je porte le refus de ma famille française. Je porte ces transmissions-là. La violence ne me quitte plus. Elle m'habite. Elle vient de moi. Elle vient du peuple algérien qui envahit. Elle vient du peuple français qui renie.

De mère française. De père algérien. Je sais les odeurs, les sons, les couleurs. C'est une richesse. C'est une pauvreté. Ne pas choisir c'est être dans l'errance. Mon visage algérien. Ma voix française. J'ai l'ombre de ma lumière. Je suis l'une contre l'autre. J'ai deux éléments, agressifs. Deux jalousies qui se dévorent. Au lycée français d'Alger, je suis une arabisante. Certains professeurs nous placent à droite de leur classe. Opposés aux vrais Français. Aux enfants de coopérants.

Ne pas être algérienne. Ne pas être française. C’est une force contre les autres. Je suis indéfinie. C’est une guerre contre le monde. Je deviens inclassable. Je ne suis pas assez typée. « Tu n’es pas une Arabe comme les autres. » Je suis trop typée. « Tu n’es pas française. » Je n’ai pas peur de moi. Ma force contre la haine. Mon silence est un combat. J’écrirai aussi pour ça. J’écrirai en français en portant un nom arabe. Ce sera une désertion. Mais quel camp devrais-je choisir ? Quelle partie de moi brûler ?»

« Mon visage. Mon corps à vérifier. Mon accent. Très léger mais reconnaissable. Surtout sur les «t». Ma façon de marcher steve-mcqueen. Une scoliose, docteur ? Non, L’Affaire Thomas Crown. Steve sans Faye. L’esprit de Steve. Le désir de Steve. Sur un corps de fille. Ma coupe de cheveux trop courte. Bien trop courte. À la Stone. Mes jeux violents. Mes cuisses musclées. Mes épaules de nageuse. Toutes les falaises du Rocher plat sur mon corps. Dense. Mon regard qui perce. Qui incendie. Qui entend. Qui dénonce. Mon regard, ma seule arme. J’en userai souvent. Pour faire mal. Pour dévorer. Et pour aimer enfin. 

 

  • Malala Yousafzai discours nations unies, 2013, lu par Younes El Ouali 

« Chers amis, aujourd’hui je me concentre sur les droits des femmes et l’éducation des filles parce que ce sont elles qui souffrent le plus. Il fut un temps où des femmes militantes ont demandé à des hommes de se lever pour défendre leurs droits. Mais, cette fois, nous allons le faire nous-mêmes. Je ne dis pas aux hommes d’arrêter de parler en faveur des droits des femmes, mais je me concentre sur cet objectif, que les femmes soit autonomes dans leurs propres combats.

Chers sœurs et frères, le moment pour parler est venu. Aujourd’hui, donc, nous appelons les dirigeants du monde à changer leurs politiques stratégiques en faveur de la paix et de la prospérité.

Nous appelons les dirigeants du monde afin que tous les accords de paix protègent effectivement les droits des femmes et des enfants. Un accord qui va à l’encontre de la dignité des femmes et de leurs droits est inacceptable.

Nous appelons tous les gouvernements à garantir une éducation gratuite et obligatoire pour tous les enfants du monde entier.

Nous appelons tous les gouvernements à lutter contre le terrorisme et la violence, à protéger les enfants contre les brutalités et les dommages.

Nous appelons les pays développés à soutenir l’expansion des possibilités d’éducation pour les filles dans le monde en développement.

Nous appelons toutes les communautés à faire preuve de tolérance. À rejeter les préjugés fondés sur les castes, les croyances, les confessions, les religions ou le sexe. À garantir la liberté et l’égalité pour les femmes afin qu’elles puissent s’épanouir. Nous ne pouvons pas tout réussir si la moitié d’entre nous sont tenus en arrière.

Nous appelons nos sœurs du monde entier à être courageuses — à prendre en main la force qui est en elle-même et à réaliser leur plein potentiel.

Chers frères et sœurs, nous voulons des écoles et de l’éducation pour offrir un avenir lumineux à chaque enfant. Nous allons continuer notre voyage vers notre objectif de paix et d’éducation pour tous. Personne ne peut nous arrêter. Nous allons parler de nos droits et nous allons changer les choses par nos paroles. Nous devons croire en la puissance et la force de nos mots. Nos mots peuvent changer le monde.

Parce que nous sommes tous ensemble, unis pour la cause de l’éducation. Et si nous voulons atteindre notre objectif, alors nous nous laisserons renforcer par cette arme qu’est le savoir et nous nous laisserons protéger par l’unité et la solidarité.

Chers frères et sœurs, nous ne devons pas oublier que des millions de personnes souffrent de la pauvreté, de l’injustice et de l’ignorance. Nous ne devons pas oublier que des millions d’enfants ne vont pas à l’école. Nous ne devons pas oublier que nos frères et sœurs sont en attente d’un avenir pacifique et lumineux.

Alors, laissez-nous mener une lutte globale contre l’analphabétisme, la pauvreté et le terrorisme et nous prendrons en main nos livres et nos stylos. Ce sont nos armes les plus puissantes.

Un enfant, un enseignant, un stylo et un livre peuvent changer le monde.

L’éducation est la seule solution. Education First. »

 

  • « Elles font l’Europe » : discours de Louise Weiss au Parlement européen, 17 juillet 1979 lu par Amani Djazouli 

Un combat pour l’Europe, (discours au Parlement européen,17 juillet 1979)

Mesdames et Messieurs les élus de l'Europe, 

Les étoiles du destin et les chemins de l'écriture m'ont menée à cette tribune pour y vivre. Présidente d'un jour, un honneur dont je n'aurais osé rêver et une joie.

 La joie la plus forte que puisse éprouver une créature au soir de son existence.

 La joie d'une vocation de jeunesse miraculeusement accomplie; journaliste, écrivain, cinéaste, il me semble en cet instant n’avoir traversé le siècle et sillonné le monde, que pour venir à votre rencontre en amoureuse de l'Europe, et formuler avec vous, avec votre approbation, les angoisses et les espérances qui soulèvent notre conscience collective. 

Nos peuples nous écoutent. Ah, mes merveilleux Européens, sauvegardons ensemble notre bien le plus précieux, à savoir notre culture et notre fraternité en cette culture ! 

Que cette journée historique ne s'achève pas sans qu'une flamme nouvelle ait brillé sur notre civilisation en une flamme de rajeunissement ! Et que cette flamme, ce soit vous qui l'ayez allumée ici, à Strasbourg, la métropole symbolique de la réconciliation continentale. 

En dépit des menaces de tous ordres qui pèsent, l'Europe se doit de continuer à aider les déshérités de ce monde, tel est encore son fardeau. Mais, dans tous les cas, que jamais ne nous abandonne le sentiment d'être des légataires et des testateurs au bénéfice des générations à venir ! 

J’en viens allègrement à l'avenir : votre assemblée pourrait, en sa souveraineté morale, se saisir des problèmes cruciaux, encore plus importants que ceux de la monnaie et de l'énergie. Le premier est un problème d'identité comprise comme perception profonde de soi. Impossible de concevoir une Europe sans Européens ! Les institutions communautaires ont fait des betteraves, du beurre, des veaux, voire des cochons européens, elles n'ont pas fait d'hommes européens ! Ces hommes européens existaient au Moyen Âge, à la Renaissance, au siècle des Lumières, et même au 19e siècle ! 

Il faut les refaire.

Déjà, la jeunesse s'en charge, circulant sac au dos, ignorant les frontières. 

Il faut, quand toutes les écoles du marché commun, à des siècles de massacres et de conflits, se substitue une ère nouvelle, fondée autour du plus petit dénominateur commun, celui de notre culture. Soyez persuadés que cette allocution si peu conforme aux usages, je l’ai prononcée pleinement informée du péril nucléaire qui nous encercle. Suréquipée, notre planète tourne engagée dans une troisième guerre larvée ici, féroce là. Le danger est devenu tel qu'il dépasse l'angoisse que l'on peut en ressentir.

Toutefois, Mesdames et Messieurs, une chance demeure : cette chance réside en ce que ce ne sont point les armes qui tuent mais les hommes ! Les armes, elles, ne demandent ni à être inventées, ni à sortir de leur cachette. Oui, ce sont les hommes qui tuent ! Et si les 10 que nous sommes n'ont pas encore prévu de s'enterrer, laissez-moi l'illusion de penser que ce n'est point faute de crédit, mais parce que leur spiritualité leur défend de désespérer de la raison humaine !