La crise sanitaire a révélé et exacerbé les inégalités et les violences que les femmes subissent, mais elle a aussi accéléré la prise de conscience sur le rôle majeur qu’elles occupent.
Elles sont infirmières, aides-soignantes, aides à domicile, agentes d’entretien, caissières… Majoritaires dans les métiers de la santé, du soin et de l’aide à la personne, de la propreté et de la vente alimentaire, les femmes ont joué un rôle essentiel lors du premier confinement puisqu’elles ont dû sortir de chez elles et poursuivre leur activité professionnelle pour faire tourner le pays. Au risque de s’exposer au Covid-19. « J’ai peur, très peur, de transmettre ou d’attraper le virus, mais j’ai choisi de continuer à travailler parce que je me sens utile. Que vont devenir les personnes vulnérables si tout le monde se met à l’arrêt ? » confiait ainsi en avril dernier à Regards l’aide à domicile Judith Joinville. C’est l’une des Courneuviennes au front pendant la crise sanitaire que la Ville met en avant pour réclamer le respect de leurs droits, à l’occasion de la Journée du 8 mars.
Beaucoup des travailleurs-euses essentiels, ou premières-iers de corvée, occupent des emplois précaires, mal payés, mal protégés et mal considérés. Tout en rendant plus visibles les professions essentielles, l’irruption du coronavirus a aussi rappelé que l’utilité sociale ne s’accompagne pas forcément d’une reconnaissance salariale et sociale. Un an après le confinement, un grand nombre des employé-e-s en première ligne attendent encore la revalorisation promise par le gouvernement, revalorisation de leur niveau de rémunération, de leurs conditions de travail, de leur contrat de travail et de leurs perspectives de carrière. Surreprésentées dans les emplois précaires, les femmes sont aussi surreprésentées dans les secteurs les plus touchés par les mesures sanitaires (hôtellerie, restauration, tourisme…) et sont donc plus exposées à la récession liée au Covid-19.
Recrudescence des violences conjugales
Au front au travail, les femmes ont aussi été au front à la maison. Alors qu’elles s’occupaient déjà de la majorité des tâches ménagères et parentales, elles ont vu leur travail domestique s’amplifier à cause du confinement : plus de rangement, plus de nettoyage, plus de cuisine et plus de soutien scolaire à faire. Cette inégale répartition des tâches au sein du foyer a lourdement pesé sur les femmes en télétravail, dont 45 % assuraient une « double journée professionnelle et domestique », selon l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee)*. Le confinement a aussi entraîné une recrudescence des violences conjugales, dont 88 % des victimes sont des femmes**. Coincées à la maison, privées d’échappatoire, elles étaient à la merci de leur conjoint violent. Et malgré l’allègement des mesures sanitaires, la situation ne s’améliore pas à cause notamment de la tension due à la crise économique et sociale.
Si les femmes semblent être les grandes perdantes de la pandémie, le combat pour l’émancipation et l’égalité des droits prend une résonance particulière avec cette actualité. Et sur le terrain, les femmes agissent et s’unissent toujours plus pour que les choses changent. Des femmes comme celles, de plus en plus nombreuses, qui poussent la porte de l’intervenante sociale du commissariat de La Courneuve pour sortir des violences conjugales ou des femmes comme celles, adhérentes des Maison pour tous, qui organisent des distributions solidaires de vêtements et de produits alimentaires pour les familles en difficulté. Le « monde d’après » se construit au féminin.
Textes : Olivia Moulin ; visuels : Vanessa Vérillon
*Conditions de vie pendant le confinement : des écarts selon le niveau de vie et la catégorie socioprofessionnelle, Insee, 19 juin 2020.
**Les violences conjugales enregistrées par les services de sécurité en 2019, Service statistique ministériel de la sécurité intérieure, novembre 2020.
Amina, infirmière
Amina habite La Courneuve. elle a 23 ans. En mars 2020, elle est encore étudiante infirmière lorsque le confinement est annoncé. Elle préparait son mémoire. Rapidement, elle est sollicitée pour renforcer les équipes à l'hôpital. Notamment au service réanimation. Mais sa mère a contracté le COVID. Etant cas contact, elle doit rester chez elle. "Finalement, c'est chez moi que j'ai mis en pratique ma formation. Je me suis occupée de ma mère tout le long. Elle a fait une forme sévère. J'ai fait "l'hôpital à la maison". J'ai dû m'occuper de mon petit frère également, qui devait faire des devoirs. Vu que ma mère ne pouvait s'en charger, j'ai endossé le rôle de maman et d'infirmière. Une double casquette pas facile à porter lorsqu'en plus je devais rédiger mon mémoire. Aujourd'hui, je suis au service PCR et vaccination à Avicennes. C'est intense. Depuis un an, c'est franchement dur psychologiquement et physiquement. Il faut savoir gérer la pression. Mais on a besoin de nous. Les femmes, qu'elles soient mère au foyer, infirmière, personnel d'entretien ou autre assurent. Ce sont les meilleures !"
En France, 87% des infirmier.ère.s sont des femmes. Défendons leurs droits !
Judith, aide à domicile
Judith est aide à domicile depuis 10 ans à La Courneuve. A l'annonce du confinement l'année dernière, il était clair qu'étant donné son métier, elle n'arrêterait pas de travailler. "Je n'ai pas regretté une seconde de continuer mes missions ! J'avais peur de cette maladie qu'on ne connaissait pas, c'est certain. Mais j'ai eu la force d'y aller jour après jour. C'était mon devoir. Les personnes âgées dont je m'occupe ont besoin de moi. Elles comptent sur moi. Je me disais que si je ne passais pas, elles ne voyaient personne. J'exerce un métier essentiel. Je ne peux pas m'arrêter. Je suis parfois fatiguée, stressée, mais je suis ravie de rendre service. Les femmes devraient enfin avoir pleinement leur place, celle qu'elles méritent, dans la société. Les femmes sont très courageuses. N'oublions pas qu'après leur journée de travail, elles commencent pour la plupart leur deuxième journée de boulot : celui de mère. Elles méritent la même reconnaissance que les hommes."
En France, 97% des aides à domicile sont des femmes. Défendons leurs droits !
Hanane, mère au foyer
Hanane est mariée et mère de trois enfants. Elle vit à La Courneuve depuis 2003. "En tant que mère et femme, je vis cette crise sanitaire comme beaucoup d'autres autour de moi : plutôt bien. Mes proches vont bien donc je reste positive. Des gens perdent la vie, perdent leur travail, rencontrent de nombreuses difficultés dues à la pandémie. Donc même si c'est parfois très dur d'être mère au foyer, de tout gérer, d'être angoissée, je me dis qu'il y a pire. Pendant le premier confinement, ça n'a pas été simple. J'ai dû gérer les enfants, leurs cours à distance, etc. Je n'étais pas préparée, je n'avais pas le matériel nécessaire pour que les enfants puissent travailler dans les meilleures conditions. Passer de longues journées avec les membres de sa famille était nouveau. Etre constamment ensemble a fini par créer des tensions quelque fois. Ca n'a pas été simple." Hanane n'a pas cessé de faire ce qui lui semblait être le mieux pour surmonter cette crise.
En France, 67% des tâches familiales sont assurées par des femmes. Défendons leurs droits !
Liliane, caissière
Liliane est caissière au magasin Franprix, situé avenue de la Convention, à La Courneuve. Depuis 21 ans, elle prend chaque matin les transports en commun depuis Courbevoie pour se rendre à son poste de travail. Alors quand la pandémie de Covid est apparue, elle n'avait pas du tout l'intention d'arrêter. "Cela n'a pas été facile, franchement. Mais je me suis dit qu'il fallait le faire. Il fallait que les gens mangent. J'étais utile, alors je l'ai fait avec plaisir. Même si j'ai eu peur à quelques moments. Je suis en contact avec beaucoup de monde. J'ai fait le test de dépistage COVID trois fois. A chaque fois, ça a été négatif. J'étais soulagée. Mais la prudence s'est renforcée. On se lave beaucoup les mains, on porte bien son masque, on évite de toucher à trop de choses. Il n'y a plus de simplicité. On pense à toutes les conséquences de nos gestes. Mais les liens humains se sont renforcés entre collègues. On prend soin les uns des autres".
En France, 76% des caissier.ère.s ou vendeur.euse.s sont des femmes. Défendons leurs droits !
Propos recueillis par Isabelle Meurisse
La Courneuve se mobilise pour la Journée du 8 mars
Malgré les restrictions sanitaires, les services municipaux, les centres sociaux et leurs partenaires associatifs ont tenu à réaffirmer leur combat pour l’égalité femmes-hommes. Centrée sur l’impact de la crise sanitaire, la Journée internationale des droits des femmes se déclinera au travers d’événements en ligne et d’un concours d’expression artistique.
Programme complet
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Précisions : de nouvelles intervenantes se sont ajoutées au programme de la conférence en ligne du 9 mars : Ounissa Fodile, présidente de l'association Femmes Handicap, avec la participation d’un groupe de femmes d'un centre social de Stains.
Les inégalités femme-homme en chiffres
- 65 %, c’est le pourcentage de femmes dans les professions essentielles
- 79,5 % des salarié-e-s à temps partiel sont des femmes.
- 58 % des salarié-e-s en CDD sont des femmes.
- Les femmes gagnent 18,5 % de moins que les hommes en équivalent temps plein.
- 57 % des aidant-e-s sont des femmes.
- 85 % des familles monoparentales sont menées par des femmes.
Portrait de Laura Boissinot, intervenante sociale au commissariat
En dehors des procédures pénales, cette professionnelle du travail social accueille, écoute, informe et oriente des personnes en situation de détresse, en particulier les femmes victimes de violences conjugales.
Même si elle occupe un bureau au rez-de-chaussée du commissariat, Laura Boissinot n’est pas policière : elle fait partie des quelque 360 intervenant-e-s sociaux-ales qui œuvrent au quotidien dans les services de police et de gendarmerie. « Chacun son travail, sourit l’éducatrice spécialisée de formation. Je ne fais pas d’enquête, je n’ai pas à déterminer si les personnes que je reçois sont bien des victimes ou non, je les considère comme telles, j’identifie et j’évalue les problématiques sociales auxquelles elles sont confrontées et je les oriente vers les interlocuteurs et les structures adaptés. »
Les personnes qu’elle reçoit depuis son arrivée en octobre dernier, ce sont des victimes ou des covictimes de violences intrafamiliales, des jeunes qui subissent du harcèlement scolaire, des primodélinquant-e-s, des personnes vulnérables, en rupture d’hébergement ou expulsées... Des personnes dont la situation ne relève pas forcément, ou pas encore, d’une réponse pénale, mais qui échappent souvent aux mailles du filet social déployé sur la commune et sur le territoire. « 70 % des dossiers que je traite ne sont pas connus des services sociaux, précise Laura Boissinot. Le commissariat, c’est la première ou la dernière porte que les gens ouvrent quand ils sont en détresse et ne savent pas où aller. »
Un travail partenarial
Initié et cofinancé par la Ville, ce poste d’intervenante sociale s’impose donc comme un maillon essentiel dans le repérage et la prise en charge des femmes victimes de violences conjugales. « Elles représentent 55 % des personnes que je suis actuellement. » Sans brusquer et sans juger, en toute confidentialité, Laura Boissinot recueille leur parole et établit avec elles un plan d’action. « Le dépôt de plainte n’est pas obligatoire, insiste-t-elle. J’interviens en fonction de ce qu’elles veulent faire et je procède étape par étape, à leur rythme. »
Services sociaux et municipaux, structures de soins physiques et/ou psychologiques comme la Maison des femmes de Saint-Denis et le Centre municipal de santé Salvador-Allende (CMS), bailleurs, associations comme la Maison de la justice et du droit et SOS Femmes, Maisons pour tous… L’intervenante sociale travaille avec de nombreux partenaires pour répondre aux besoins et aux demandes des femmes victimes de violences conjugales. « En cas d’urgence et de danger immédiat, je ne pars pas du commissariat tant que je n’ai pas trouvé le moyen de les mettre en sécurité. » Qu’elle soit poussée en premier ou en dernier recours, la porte du bureau de Laura Boissinot s’ouvre sur des solutions.
Pour prendre rendez-vous avec l’intervenante sociale, vous pouvez appeler le 06 37 71 33 21.