
Depuis sept mois, Zineb Benzekri, fondatrice et directrice artistique de La Zankà Cie, et d’autres membres de sa compagnie interviennent dans le secteur du mail de Fontenay pour accompagner artistiquement la future démolition du « dernier des géants ».
Ses mots sont choisis. Normal pour une artiste qui cherche avant tout à « raconter une histoire »quand elle travaille. Après réflexion, Zineb Benzekri propose donc « metteuse en récit » et « bidouilleuse professionnelle » pour décrire ce métier qu’elle exerce depuis une quinzaine d’années avec descitoyen·nes de tout bord, qu’elles et ils habitent à Auch, à Niort, à Villeurbanne ou à La Courneuve, souvent dans des endroits en train de changer sous l’effet de la rénovation urbaine.
C’est d’ailleurs la seconde fois qu’elle mène une résidence artistique aux 4 000. Entre 2017 et 2019, avec le collectif d’artistes Random, elle avait accompagné les habitant·es dans la future démolition de la barre Robespierre. Cette fois, c’est au mail de Fontenay qu’elle intervient et réside plusieurs jours par mois, comme d’autres membres de sa compagnie La Zankà. « Lorsque je discute avec des habitants et je leur dis que je suis au 3, ils hallucinent ! C’est bien de ne pas correspondre à ce que les gens peuvent imaginer quand on travaille soi-même sur les imaginaires », sourit-elle.
« J’aime bien travailler avec des matières, avec des arts populaires, et intégrer tout le monde. »
Ses créations commencent toujours par des rencontres avec des personnes qui vivent, agissent et travaillent dans la ville. « J’aime arriver dans un territoire sans m’être déjà fait une idée de ce territoire. » Ça lui permet de repérer les savoirs et les savoir-faire existants, de voir comment toucher vraiment les habitant·es. «La rencontre avec Sébastien Radouan de l’AMuLoP [Association pour un musée du logement populaire, NDLR] a été très importante. Il m’a expliqué qu’au moment où la première barre a été démolie, c’était déjà fini cette époque, qu’on habitait la fin. C’est le point de départ de ma narration. »
Pour raconter et mettre en forme l’histoire de la barre et de ses locataires, Zineb Benzekri et son équipe ont organisé des ateliers de jardinage, de cuisine, de poterie, de tissage, d’écriture... avec des jeunes de la Boutique de quartier La Tour, des enfants du centre de loisirs Joséphine-Baker, des seniors de la Maison Marcel-Paul, des adhérent·es de la Maison pour tous Aoua-Keïta... « J’aime bien travailler avec des matières, avec des arts populaires, et intégrer tout le monde. Je crée la possibilité qu’on s’entende, pas forcément qu’on se mette d’accord, mais qu’on entende la parole de chacun et de chacune. » Un premier temps fort de restitution est prévu ce 30 mai.
Photo, théâtre, danse... La « Berbèro-Basque »touche aux arts depuis « toujours ». « J’ai grandi au Maroc, j’étais au lycée français et je voulais partir le plus vite possible pour être libre, pour être la femme que je voulais. J’ai débarqué à Toulouse après le bac, j’avais promis à mon père de faire hypokhâgne et khâgne, mais sur le chemin je suis tombée sur le collectif Mix'art Myrys et j’y suis restée ! J’ai découvert une culture alternative que je ne connaissais pas du tout, avec des punks, des anarchistes..., j’ai adoré. J’avais un atelier sur place. » En 2005, elle cofonde l’Association pour la recherche du théâtre vivant, qui produit ensuite le collectif Random. « On a d’abord eu une pratique artistique autour du corps sur scène, mais après l’élection de Sarkozy, on a décidé d’investir l’espace public, de faire de l’artivisme.» «Zanka», le nom de la compagnie qu’elle a créée avec « des amateurs et des professionnels, des jeunes et des vieux, des personnes non racisées et des personnes racisées » en 2021, « c’est la rue en arabe, l’endroit du peuple, où on se croise et on se parle ». Encore un mot bien choisi.
Texte : Olivia Moulin ; photo : Léa Desjours ; vidéo : Isabelle Meurisse