
Lidia Sanchez a vécu la guerre d’Espagne puis la transformation urbaine de LaCourneuve dans la force de solides liens familiaux.
Elle ne va plus dans les bals ou au cinéma... Pourtant,cela ne nous surprendrait guère, tant Lidia Sanchez est vive et pimpante. Elle tient pourtant à s’excuser avant tout « de perdre le français » et « de ne plus se souvenir de rien ». Évidemment, ce n’est pas juste : Lidia porte en elle une mémoire vive des émotions qu’elle a vécues et des moments historiques qu’elle a traversés. Elle les convoque dans un « fragnol »imagé, cette langue mixée que toutes les familles issues de l’exil espagnol connaissent bien.
« C’était une horreur : ils ont tué beaucoup de monde, exécutés sur un pont près du village.»
Une émotion qui fait toujours trembler sa voix, plus de quatre-vingts ans après, au récit de la catastrophe qui a décidé de son destin, à l’adolescence : la victoire des franquistes à l’issue de la guerre d’Espagne. Entre 1936 et 1939, une guerre civile a déchiré l’Espagne, quand le général Franco a déclenché un putsch « nationaliste »contre le gouvernement de gauche « républicain »qui venait d’être élu. Quand le père de Lidia del Campo (son nom de jeune fille) revient de la guerre, le village d’Estrémadure dont il était le maire légitime, Casatejada, est passé sous la coupe d’un homme de mains des franquistes. « C’était une horreur : ils ont tué beaucoup de monde, exécutés sur un pont près du village. Mon père et ma mère ont eu la vie sauve parce que le prêtre est intervenu. Mais ils ont mis mon père en prison et nous avons tout perdu, nos biens, notre situation. »
La famille reste au village, doit travailler dur pour survivre : « J’étais dans les champs toute la journée, à arracher les herbes dans les blés, à ramasser des glands pour nourrir les cochons. Les cochons des riches...» Lidia se marie avec Andres. Quatre enfants naissent. En 1957, des membres de la famille de son mari, qui vivent à Saint-Denis, les persuadent de venir s’installer ici, où il y a du travail.
« On allait au Bourget à pied avec les enfants pour leur montrer les avions, on dansait le 14-Juillet, on allait voir des films espagnols »
Mais la vie ne devient pas merveilleuse d’un coup de baguette magique : « C’était très difficile. Je ne comprenais pas le français, on a vécu pendant sept ans dans une cave que nous louait un Espagnol, ici à La Courneuve... C’était un vrai profiteur, c’était horrible ! » Andres travaille dans une usine automobile, Lidia se consacre à l’éducation des enfants. Quand tous sont scolarisés, la situation s’améliore : la famille intègre un logement aux 4000. « C’était un bel appartement, grand, avec quatre chambres. »
Dans cette vie laborieuse, il y a des bons moments : « On allait voir la famille dans les environs, on allait au Bourget à pied avec les enfants pour leur montrer les avions, on dansait le 14-Juillet, on allait voir des films espagnols, avec Joselito (un enfant-chanteur espagnol très célèbre dans les années 50-60, ndlr).»
Son mari décède en 1981, les enfants quittent le foyer, Lidia emménage dans un appartement plus petit, où elle est autonome. « Elle cuisine tous ses repas : elle aime bien la tortilla et le lapin... On sort dès qu’il fait beau, on va chez le coiffeur, la pédicure...» commente Marbelly Lopez, l’aide à domicile du CCAS avec qui Lidia entretient visiblement une relation très tendre. Car les liens humains, c’est ce qui maintient vivace cette mère, grand-mère, arrière-grand-mère, comme le prouvent les innombrables photos de famille qui tapissent l’appartement. Une lignée qui s’organise pour se rassembler autour d’elle le 27 mars prochain, pour son centenaire. Et nous souhaitons à Lidia un anniversaire magnifique, con un gran abrazo.
Texte : Claude Rambaud ; photo : Roberta Valerio