Waël Sghaier : « Je veux donner la parole à ceux qui ne l’ont pas »

Publiée le 17 oct. 2024

Waël Sghaier : « Je veux donner la parole à ceux qui ne l’ont pas »

Passé derrière la caméra « un peu par hasard » en 2016, l’enfant du 93 l’utilise depuis comme un moyen de proposer un autre regard sur le territoire et ses habitant-e-s.

Waël
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Le temps, c’est à la fois sa faiblesse et sa force. « Dans ma méthodologie de travail, j’ai du mal à me projeter sans passer beaucoup de temps avec les personnages de mes films avant de tourner. J’adore écouter les gens. C’est complexe à financer », rigole Waël Sghaier. Mais ça permet de créer une proximité et d’obtenir des paroles et des émotions spontanées, auxquelles il tient énormément. « J’essaie de continuer et de creuser cette démarche, d’emmener là-dedans les gens avec qui je travaille. On est là pour une aventure humaine, pour se créer plein de familles ! »

Quand, en 2014, il décide de voyager en Seine-Saint-Denis dans le cadre de son stage de fin d’études en master 2 de tourisme, le temps, déjà, est le secret. Pendant quatre mois et demi, le jeune homme originaire d’Aulnay-sous-Bois parcourt à pied, à vélo ou en transports en commun les quarante villes du département et dort chez les habitant-e-s. Ses découvertes, ses coups de cœur et ses rencontres nourrissent un blog hébergé par le Comité départemental du tourisme, Mon incroyable 93, qui montre toute la richesse du territoire, loin des « poncifs ».

Deux ans plus tard, il renouvelle le périple, pour un documentaire cette fois. Même si ce féru de cinéma a songé un temps à faire une formation dans ce domaine avant de renoncer en découvrant le « concept d’école payante », il arrive à la réalisation « un peu par hasard ». « Lors d’une soirée de financement pour le blog, on m’a dit que c’était dommage qu’il n’y ait pas d’images, alors je suis parti tourner un teaser avec un pote. Et après, tous les médias qui m’ont interviewé m’ont présenté comme un réalisateur et un producteur m’a proposé d’en faire un film. »

« Mon envie, c’est de changer les couleurs qu’on a l’habitude de voir dans les images sur les quartiers populaires. »

Un peu par hasard donc, Waël Sghaier a trouvé une passion et une mission. « Je mets tout mon cœur, toute mon âme et tout mon corps dans mes films ! J’aime bien la citation de Steven Spielberg où il dit qu’il n’est jamais allé chez un psy parce que raconter des histoires est sa thérapie. Et je suis au service d’un projet : je veux donner la parole à ceux qui ne l’ont pas et montrer la réalité. Il y a des réalités complètement fausses qui se construisent, qui circulent et qu’on se prend en pleine figure. »

Comme Mon incroyable 93, tous ses documentaires sont liés à son département. Dans Banlie.ue, il évoque les ressemblances – abandon de l’État, violences policières, gentrification... – entre les quartiers populaires de France et d’autres pays d’Europe. « C’est un échelon qu’on a tendance à oublier alors qu’il est parfois plus important que l’échelon national, il faut reprendre la main sur ce récit-là. » Et dans Elle danse, tourné dans un Ehpad d’Aubervilliers, il montre « comment on vieillit en Seine-Saint-Denis ».

Cet engagement lui vaut des commandes de la part de collectivités et d’organisations du territoire. En 2023, il réalise ainsi un film plein de joie sur la diversité linguistique et le vivre-ensemble à La Courneuve, Une seule Ville Monde. Et en 2024, un film plein de douceur sur la préparation de la parade « On ne va pas se défiler » qui s’est tenue le 23 juin dans le cadre de l’Olympiade culturelle, où il suit quatre jeunes dont un de La Courneuve. « Mon envie, c’est de changer les couleurs qu’on a l’habitude de voir dans les images sur les quartiers populaires. Je veux que les personnes soient belles, que les bâtiments, même s’ils sont gris, soient beaux… »

Huit ans après ses débuts, celui qui s’est installé à Pantin garde « un sentiment d’imposture » malgré son expérience et ne vit « pas totalement de ce métier ». Ça ne l’empêche pas de réfléchir à son prochain documentaire, sur l’immigration. Et ça lui permet d’explorer d’autres domaines : l’éducation aux médias et à l’information – il anime des ateliers –, la réalisation de podcasts, la musique – il a été programmateur associé pour un lieu culturel… « En ce moment, j’ai plutôt envie de faire de la cuisine ! Les start-uppers ont inventé le mot “slashers* récemment, mais dans les quartiers, ça fait longtemps qu’on est multiples, qu’on essaie de couvrir tout le champ des possibles. » C’est juste une question de temps.

Texte : Olivia Moulin ; photo : Léa Desjours

*Mot qui désigne les personnes cumulant plusieurs activités, en référence au signe / (slash en anglais).