Didier Ottinger : « Chacun, en se vivant poète, peut changer le monde »

Publiée le 12 déc. 2024

Didier Ottinger : « Chacun, en se vivant poète, peut changer le monde »

Didier Ottinger

Cet expert de l’histoire de l’art a imaginé l’exposition sur le surréalisme, qui remporte un succès considérable au Centre Georges-Pompidou. Son enfance à La Courneuve a nourri sa personnalité non conformiste et sa détermination à ouvrir les portes de l’art moderne et contemporain à tous les publics.

Il faut se jeter dans une monstrueuse gueule ouverte pour rencontrer Didier Ottinger en son domaine : c’est en traversant la porte de l’Enfer, inspirée du portail d’un célèbre cabaret du même nom fréquenté par André Breton et ses ami-e-s dans les années 1920, que l’on se projette dans l’exposition « Surréalisme ». Une impression de fête foraine qui donne le ton, désarmant d’entrée les normes et les préjugés sur le monde artistique.

Didier Ottinger est le directeur adjoint du Musée national d’art moderne du Centre Georges-Pompidou qui a conçu (avec sa collègue Marie Serré) cette impressionnante exposition célébrant le centième anniversaire du mouvement surréaliste. Autorité bien établie en matière d’art, il a voulu faire résonner la vitalité surréaliste dans le monde d’aujourd’hui, à contre-pied d’une histoire de l’art « officielle » qui refermerait la parenthèse de ce mouvement d’avant-garde avec la mort en 1966 de son « inventeur », André Breton.

« Le fondement du surréalisme, explique Didier Ottinger, c’est de marcher toujours sur deux jambes : l’une est le projet de changer la vie, formule empruntée à Rimbaud. Et l’autre est le projet de transformer le monde, formule empruntée à Karl Marx. Il s’agit d’une liberté créative totale qui se libère de tous carcans rationnels et qui s’articule avec une volonté de révolutionner l’ordre établi. Cette conviction que la poésie et la beauté peuvent changer le monde, que chacun, en se vivant poète, est capable de changer le monde, est un message complètement universel et contemporain. »

Et qui, visiblement, résonne auprès des jeunes, nombreux parmi les 5 500 personnes qui visitent l’expo chaque jour. « C’est quand même un événement, tous ces jeunes. Mais c’est bien la preuve que les surréalistes résonnent pleinement
avec le besoin de contester un monde toujours plus oppressant, qui enferme toujours plus les individus dans leur fonction, tout en revendiquant la capacité de notre imaginaire à nous transformer nous-mêmes… »

« L’idée de surréalisme, tend simplement à la récupération totale de notre force psychique. » André Breton

Une volonté d’émancipation qui marque le propre parcours de Didier Ottinger. Il emménage enfant à La Courneuve dans les années 50, en provenance de Nancy. La Courneuve est un immense chantier de grands ensembles et d’autoroutes qui poussent comme des champignons, il joue au foot avec ses copains des 4 000 dans les friches : « C’était quand même assez rude, difficile, il n’y avait pas de confort, il n’y avait pas de possibilité d’accéder à la beauté, la culture… Déjà, enfant, ça me pesait… » Une première rencontre avec un professeur de mathématiques brillant, passionné, pédagogue le pousse en fac de maths. Mais les mathématiques sont vite trop austères pour le jeune homme… Il tente l’école d’architecture, où sa critique de Le Corbusier, consensuellement vénéré comme le grand génie de l’architecture moderne, le rend suspect.

C’est par hasard qu’il passe dans un cours d’histoire de l’art : « Ça a été un déclic. Je me suis dit : c’est ça que j’ai envie de faire. » Il s’inscrit donc dans ce cursus où sa passion se confirme, « même si personne ne prenait l’histoire de l’art au sérieux à l’époque. C’était pour des jeunes filles qui voulaient briller en société, pas pour en faire un métier… » Mais Jack Lang alors ministre ouvre en grand le champ des carrières artistiques, permettant à Didier Ottinger de devenir conservateur et de diriger dans la foulée le musée des Sables-d’Olonnes : « Plus qu’une carrière institutionnelle, je voulais pouvoir développer de manière autonome ma politique d’un musée à portée de la population, avec la pédagogie requise pour traiter y compris de sujets complexes… »

Un credo qui reste sa ligne de conduite intransigeante depuis qu’il a rejoint le Centre Georges-Pompidou, il y a près de
trente ans. « Même si ce n’est toujours pas la préoccupation la mieux partagée, la vocation d’un lieu comme Pompidou est de mettre l’art au service de la population. Le nombre exceptionnel de visiteurs qui viennent s’inspirer ici des ferments actifs du surréalisme le démontre : la poésie, la beauté irriguent une émancipation vitale pour tous ! » 

Texte : Angel Garcia ; photo : Francesco Gattoni


Exposition « Surréalisme », jusqu’au 13 janvier au Centre Pompidou, place Georges-Pompidou, Paris (RER Les Halles). Tous les jours sauf le mardi de 11h à 21h (le jeudi jusqu’à 23h).
Tarif : 17 euros (tarif réduit : 14 euros).
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