Alecsya Ladine : « Une porte ouverte vers un autre monde »

Publiée le 19 sept. 2024

Alecsya Ladine : « Une porte ouverte vers un autre monde »

Alecsya Ladine

La Courneuvienne Alecsya Ladine, étudiante en langue des signes a fait découvrir ce langage à part entière à des jeunes de la ville. Elle espère prolonger ces ateliers à la rentrée. Une façon pour elle d’offrir une visibilité aux personnes malentendantes.

Et si tout commençait par ce signe envoyé quand Alecsya Ladine avait une douzaine d’années ? « Ma mère regardait la série Switched à la télévision. On y suivait deux jeunes filles qui avaient été échangées à la naissance, dont l’une malentendante utilisait la langue des signes. J’ai tout de suite été émerveillée », se souvient la jeune femme. Dix ans plus tard, elle finit sa licence de sciences du langage avec spécialisation en langue des signes française à l’université de Paris 8 Saint-Denis. Ses cours lui ont donné envie de faire découvrir cette langue à part entière à d’autres Courneuvien-ne-s. « J’ai monté un projet pour sensibiliser les jeunes à la surdité et à la langue des signes en lien avec le Conseil local de la jeunesse (CLJ). Fin mai-début juin, j’ai pu animer des ateliers, cinq sessions de deux heures au Point information jeunesse », développe l’étudiante, jeudi 11 juillet. Rendez-vous a été pris justement au PIJ. Pas question de se lancer dans une telle entreprise sans demander la permission à ses enseignants, eux-mêmes malentendants, qui ont tout de suite trouvé l’idée géniale. « C’est important de partager, m’ont-ils dit. » Un succès qu’Alecsya se verrait bien réitérer. 

« C’est essentiel pour les personnes qui signent de se retrouver. »

Comme elle aimerait proposer que les sourd-e-s et malentendant-e-s de la ville puissent se retrouver par exemple dans la nouvelle Maison pour tous Aoua-Keïta au cœur des 4 000 Sud, là où sa famille s’est installée quand elle avait 11 ans. « Je suis née en Guadeloupe et suis arrivée en métropole à 1 an », précise celle qui a commencé à aller à la rencontre de jeunes sourd-e-s courneuviens via Instagram.
« C’est essentiel pour les personnes qui signent de se retrouver. » L’attention à l’autre est presque innée – avec une mère aide-soignante – chez la jeune Courneuvienne de 22 ans qui a d’abord entamé des études d’infirmière avant de bifurquer vers les sciences du langage. « À la base, je voulais être puéricultrice, mais j’ai fait un stage en néonatalité à l’hôpital Delafontaine et ça ne m’a pas tant plu que ça. » Maintenant, elle se verrait bien interprète en langue des signes. Elle dont aucun membre de sa famille n’est malentendant pense qu’en plus de l’héroïne de Switched, son intérêt vient justement de sa maman, mais aussi de ses propres expériences de la discrimination. « Déjà, je suis une femme… de confession musulmane en plus », raille- t-elle. 

Un mouvement infime modifie le sens d’un mot

Si la langue des signes demande beaucoup d’attention, surtout au début, Alecsya apprécie l’usage du corps qu’elle implique. « J’adore cette langue, elle est très vivante, elle fonctionne beaucoup par les expressions du visage en plus des gestes. Comme dans l’arabe ou le chinois, selon le ton employé, la signification d’un mot change. Un mouvement infime modifie le sens d’un mot », complète cette passionnée de théâtre, qui voit une passerelle avec le jeu d’acteur. « C’est aussi une porte ouverte vers un autre monde, pour nous qui avons intégré en tant qu’élèves entendants, de rester calme, de ne surtout pas déranger pendant les cours. Nous devons apprendre à sortir du carcan de la rigidité de notre corps, à extérioriser tout en restant concentré. Si nos yeux décrochent, on perd l’écoute qui se fait par les yeux. » Les cours de théâtre au collège puis cette année avec le CLJ sont donc un plus pour cette comédienne amatrice. Après tout, la reconnaissance des personnes sourdes et malentendantes s’est imposée au grand public avec la comédienne Emmanuelle Laborit, qui a reçu le Molière de la révélation théâtrale en 1993 pour son rôle dans Les Enfants du silence qu’elle a repris douze ans plus tard à la Comédie-Française. Alecsya aimerait bien jouer avec l’International Visual Theatre que dirige la célèbre actrice. « C’est juste un passe-temps, mais j’aime tellement jouer », s’emballe cette fan de manga et d’anime. « Mis à part ceux d’horreur, j’ai tout vu et tout lu », sourit l’aînée d’une fratrie de deux filles et un garçon. Quand elle ne milite pas pour faire connaître la langue des signes, ne monte pas sur les planches, ne va pas au théâtre ou ne lit pas, elle écrit des poèmes. « Je fais de la poésie en vers libres sur ma famille, l’identité, ou ce sont simplement mes réflexions, mes observations sur le monde. » Cette passion née au collège s’inscrit dans son autre hobby, la lecture de romans « tranches de vie » comme elle dit, « des histoires qui ressemblent à mon quotidien ». Ne pas s’ennuyer, ne pas se plaindre, se tourner vers les autres, envoyer des signes positifs, telle est la voie choisie par Alecsya. 

Texte : Marie Bernard ; photo : Léa Desjours ; vidéo : Isabelle Meurisse