Abdoullah Balde : « Hier il y avait de la brume, les feuilles d’automne par terre »

Publiée le 14 nov. 2024

Abdoullah Balde : « Hier il y avait de la brume, les feuilles d’automne par terre »

Abdoullah Balde

Son appareil photo à portée de main, le jeune photographe de 25 ans arpente les rues de la région parisienne en quête de lieux adéquats pour ses portraits. Des mises en scène légèrement décalées. Un regard aiguisé.

Il aime les couleurs de l’aube comme l’artiste ivoirienne Joana Choumali dont il souhaiterait aller voir les oeuvres exposées en ce moment même au Grand Palais dans le cadre de Paris Photo. Abdoullah Balde se lève tôt lui aussi pour saisir la lumière si particulière du petit matin. « Hier, par exemple, il y avait de la brume, les feuilles d’automne par terre », raconte le jeune homme lui-même photographe depuis trois ans. Enfin, disons que c’est en 2021 qu’il a eu le déclic. « Avant cette date, je prenais des photos avec mon téléphone, mes amis m’appelaient pour leur profil Instagram. » Et vint un jour où le Courneuvien descend dans le Sud rendre visite à son frère du côté de Narbonne (Aude). « Je ne sais pas pourquoi, j’ai eu une autre vision de ce qui m’entourait, peut-être parce que c’étaient des paysages différents de d’habitude avec la plage, la mer, le soleil. Je me suis aperçu que ça me plaisait vraiment. Du coup, mon frère m’a offert un appareil photo argentique. 

« Jusqu’à ma mort, je ferai de la photographie »

Le souvenir du premier cliché épinglé sur son compte Instagram reste gravé à jamais dans la mémoire d’Abdoullah Balde. « Je me promenais avec un autre de mes frères au Raincy et nous sommes tombés sur une voiture vintage qui m’a plu. Depuis, d’ailleurs, je me suis pris de passion aussi pour les vieilles voitures ! Je m’arrête même parfois pour parler avec le propriétaire quand il est là. » Sur l’image, un jeune homme noir, bonnet jaune, costume marron, fleur de tournesol à la main, s’appuie contre une Saab 900 Turbo sombre, il a le regard un peu perdu. Une série de portraits de ses frères, sœurs et ami-e-s à côté de voitures diverses et variées voient le jour. Certains mis en scène, d’autres pris sur le vif… La passion est née. Elle ne le quittera pas. « Jusqu’à ma mort, je ferai de la photographie », sourit Abdoullah Balde. De là à en vivre ? En faire son métier ? « Pourquoi pas ! » Pour l’instant, après avoir enchaîné divers petits boulots de vendeur et de livreur, le voilà conducteur du train-tram T11. « C’était un rêve de gosse de conduire des trains. »

Et si marcher dans les rues d’Île-de-France pour repérer des endroits à photographier lui est venu sur le tard, rien ne l’arrête plus. Pour preuve, en ce jeudi 7 novembre, alors qu’il suit une formation en audiovisuel à Aubervilliers. « Ce matin en allant au cours, je suis passé devant un café à Saint-Denis qui m’a bien plu. Je l’ai pris en photo. J’aime également les couleurs des devantures et des néons des bars, comme celui que j’avais pris près de chez mes parents aux 4 000-Sud et qu’on peut voir sur mon compte Insta. Je pense que je vais entamer une série bientôt. »

S’il est arrivé à La Courneuve à 17 ans après avoir grandi à Sevran, Abdoullah Balde apprécie ici le coup de pouce donné aux jeunes, certains endroits insolites comme l’immense immeuble de bureaux abandonné Entrepose au carrefour des Six-Routes, la longue barre qui va bientôt être détruite près de chez ses parents, la diversité des habitant-e-s, les courts de tennis du quartier Verlaine. Autant de prises de vues fixées sur pellicule dont une envoyée à Regards !

Il fait partie du collectif Echo Banlieues

S’il ne se définit pas comme un artiste engagé qui veut montrer une autre image de la banlieue comme le fait Marvin Bonheur, un ami de son frère, il appartient au collectif Echo Banlieues, un web média né dans la foulée de Justice pour Théo en 2017, qui enquête sur la vie des habitant-e-s des quartiers populaires connus ou pas ! De son côté, Abdoullah Balde documente ses followers sur les plus grands photographes africains. « Ma première vidéo revenait sur le parcours de Seydou Keïta qui m’a tellement inspiré et m’inspire encore. » Toute la bonne société de Bamako venait, tirée à quatre épingles, se faire tirer le portrait dans le studio du plus célèbre des photographes maliens, toujours avec un objet symbole de sa réussite sociale : une voiture, une Vespa, un poste de radio… Sur un portrait d’Abdoullah Balde, une jolie jeune femme élégante pose avec un radio-cassette devant une vieille 404, une autre est assise sur un vélo flambant neuf devant un filet de tennis du terrain de Verlaine… Ses premières photos ont déjà été accrochées au très branché Bar à Bulles de Montmartre avec d’autres oeuvres de jeunes artistes, il y a tout juste un an. Un jour peut-être entrera-t-il par la grande porte de la 193 Gallery qui expose donc sur son stand de Paris Photo du 7 au 10 novembre Joana Choumali. « Je prépare une vidéo sur cette artiste qui fait des photos avec des broderies depuis l’attentat de Grand-Bassam. Elle aussi est une grande photographe inspirante. » Le portraitiste des 4 000 espère bientôt retourner au Sénégal, pays de ses parents, peut-être direction le MuPho, le Musée de la photographie de Saint-Louis à Dakar ?
 

Texte : Marie Bernard ; photo : Léa Desjours ; vidéo : Isabelle Meurisse