Zoshia : « Je veux parler des gens dont on parle peu »

Publiée le 19 oct. 2023

Zoshia : « Je veux parler des gens dont on parle peu »

Zoshia

Installée dans le quartier des Quatre-Routes depuis trois ans, l’artiste de musique electro tient à mettre en lumière des vies oubliées, méconnues ou occultées dans ses créations.

Certaines phrases marquent plus que d’autres. Pour Zoshia, Manon Brioist à la ville, il y a celle de cet homme surendetté au tribunal d’instance où elle a fait son stage de troisième. « Quand le juge lui a dit qu’il faudrait hypothéquer sa maison, il a répondu, les larmes aux yeux : “Si la maison part, je pars avec elle”. » Elle a repris cette phrase dans le premier titre qu’elle va sortir, « Jeu d’enfant », l’histoire d’une mère célibataire en grande précarité qui ment à son enfant en lui disant que tout ira bien. « Il y a tellement de sujets qui mériteraient d’être abordés en musique. Je veux parler des gens dont on parle peu. Venant du bassin minier, il y a un aspect très social et très populaire dans tout ce que j’écris. »

Pour le tournage du clip en novembre, celle qui veut développer ses projets artistiques en Seine-Saint-Denis a prévu d’investir la halle du marché des Quatre-Routes. Un lieu qui lui tient à coeur. « En tant que musicienne et chanteuse qui n’arrive pas à en vivre, je suis obligée de travailler à côté, dans des bars, et quand je rentre de mon service à 4 ou 5 heures du matin, je croise les gens qui montent leur étal. Ce sont des gens qui sont tout le temps debout, dans le froid ou dans le chaud, qui prennent très peu de marge. Il y a tout un monde derrière. »

« J’ai commencé à écrire des textes de rap et de slam à Sciences-Po. »

C’est dans son Nord-Pas-de-Calais natal qu’elle mène ses premières activités artistiques, le piano et la danse. À 13 ans, elle intègre le Conservatoire à rayonnement régional de Lille et suit un parcours en classe à horaires aménagés danse (CHAD). « Je me suis dit que je serais plus heureuse si je mettais plus de danse dans ma vie. » Plus de danse classique, c’est aussi plus de rigueur, de discipline, d’abnégation. « J’avais des cours où on restait sur pointes pendant trois-quatre heures d’affilée, j’avais des ampoules et je saignais dans mes chaussons, mais impossible de redescendre. On accepte ça parce qu’on est passionné. » Mais elle ne compte pas y faire carrière. « Je viens d’une famille de classe moyenne qui croit à l’ascension sociale par les diplômes, à la méritocratie. » Donc après le bac, direction Menton dans les Alpes-Maritimes pour le cursus « Méditerranée / Moyen-Orient » de Sciences-Po Paris.

Étude des enjeux politiques, économiques et sociaux de ces zones géographiques, cours d’arabe, cours de chant accompagné par un oud… « Hyper intéressant », la formation ne l’épanouit pas pour autant. Une autre phrase résonne alors plus que les autres. « Sur le campus, un psychologue à qui je disais que je n’étais pas bien m’a répondu : “Quand on met une fleur à l’ombre, elle dépérit. Le problème ce n’est pas la fleur, c’est le soleil que vous avez choisi.” » Pour
trouver son soleil, elle s’installe à Paris en 2019 et rejoint le Cours Florent, qu’elle a découvert à l’occasion d’un stage. En parallèle, elle suit une licence à distance pour « rassurer » sa mère et travaille dans un skatepark.

Les trois ans passés dans l’école, très intenses, l’enchantent. En plus du théâtre, elle s’investit à fond dans la musique, avec ce nom de scène choisi en hommage à sa mère, dont le surnom polonais était Zosia quand elle était enfant. « J’ai commencé à écrire des textes de rap et de slam à Sciences-Po, mais je ne me suis pas tout de suite dit que je pourrais en faire mon métier. En grandissant, je n’avais pas de role model, personne dans ma famille, mon entourage ou mon voisinage ne faisait de la musique. Ça prend du temps de se dire que c’est possible. » C’est pour cette raison qu’elle voudrait inviter des collégien-ne-s ou des lycéen-ne-s de la ville sur le tournage du clip de « Jeu d’enfant ».

Pour mettre ses textes en musique, Zoshia utilise des « instrus » gratuites puis apprend à composer par elle-même, avec un logiciel de musique assistée par ordinateur. Toujours dans l’abnégation. « Je peux passer huit heures par jour à chercher de nouveaux sons, à réfléchir à leur agencement. » Ces sons plutôt dansants, plutôt gais, accompagnent des paroles qui ne le sont pas. « Quand j’étais jeune, j’écoutais beaucoup de variété française à texte : Léo Ferré, Georges Brassens, Jacques Brel, Pierre Bachelet… J’attache énormément d’importance aux textes. » Un moyen de partager des phrases qui comptent.

Texte : Olivia Moulin ; photo : Léa Desjours ; vidéo : Isabelle Meurisse