L’ancien enfant des 4 000 Mohand Azzoug, aujourd'hui comédien, metteur en scène et directeur artistique, a écumé la France au gré de sa carrière théâtrale avant de se réinstaller en Seine-Saint-Denis, où il s’emploie à faire du théâtre un outil de rencontre, de partage et de lien social.
Il ne se souvient pas toujours des noms, mais il garde une mémoire précise des émotions. Comme celles qu’il a éprouvées petit au centre culturel Jean-Houdremont. « Je venais voir des spectacles ici avec l’école et l’un d’eux m’a énormément marqué, raconte Mohand Azzoug, qui résidait dans la barre Renoir. Il y avait une maison en flammes sur le plateau, ça devait être produit par des jeux de lumière et des feuilles de couleur, mais dans mes yeux d’enfant, c’était vraiment des flammes. J’étais totalement happé par ce qui se passait. C’est fort de voir comment, avec rien, on crée de l’imaginaire et on emporte les spectateurs. »
À la maison, la fibre artistique est très présente. Sa mère chante, son père joue des percussions et ses frères et lui dessinent, beaucoup. « Ma mère m’a aussi transmis le goût de la cuisine, qui a très vite résonné comme de l’art pour moi : tu prends le temps de préparer quelque chose, en y mettant de toi, et tu le partages avec quelqu’un. » Rebuté par le tarif « exorbitant » des écoles d’art, il choisit de se tourner professionnellement vers le cinéma. Un moyen pour lui de ne pas se laisser enfermer dans une représentation fausse et négative du « jeune de banlieue ». « On est beaucoup plus multiples que ça ! Dès mes 15 ans, il y avait le refus de cette image, vraiment péjorative à l’époque, par exemple en portant une tenue différente presque tous les jours. Le cinéma, c’était un endroit de résistance. »
« Comment fait-on société aujourd’hui et comment raconte-t-on notre société dans sa multiplicité ? »
Après un an au Conservatoire libre du cinéma français à Paris, Mohand Azzoug bifurque vers le théâtre en intégrant sur concours le Conservatoire municipal du 1er arrondissement. Il tente ensuite un autre concours, celui de l’école du Théâtre national de Strasbourg. « Ça ne l’a pas fait et j’ai voulu arrêter. Ça devenait compliqué et j’en avais marre qu’on me dise de faire attention à mon accent, je trouvais ça violent. Comme l’accent parisien est la norme dans ces endroits-là, on gomme tous les autres accents. » Sur l’insistance de son meilleur ami, il passe quand même le concours de l’école du Théâtre national de Bretagne, à Rennes. « Quand j’ai mis le pied sur le plateau, je me suis dit que j’allais y rester. » Il y reste. Pendant trois ans, de 2003 à 2006, il dévore des ouvrages de théâtre, de sociologie et de philosophie, et travaille avec des metteur-e-s en scène « extraordinaires ».
Son cursus fini, le comédien enchaîne les pièces et les tournées, à Paris, Avignon, Reims... et tâte aussi de la mise en scène. « Ces métiers s’alimentent l’un l’autre. » Puis il fonde la compagnie de théâtre Verba Pictures en 2017, qu’il lance vraiment en 2021. « J’avais envie de développer ma propre ligne directrice et de travailler dans le 93. Mon but, c’est de faire du théâtre par et pour les habitants de la ville et du territoire. » Alors il endosse la casquette de porteur de projets. Et les projets affluent : avec lui et d’autres artistes, des seniors de la maison Marcel-Paul écrivent et mettent en scène un texte dans les médiathèques Aimé-Césaire et John-Lennon ; des jeunes de la Prépa’Théâtre 93 — Classe préparatoire égalité des chances de Bobigny lisent des textes sur la place Claire-Lacombe, dans les Maisons pour tous Youri-Gagarine et Cesária-Évora et dans l’Ehpad Hovia... « On va au plus près des gens, dans les structures qu’ils fréquentent, pour inscrire le théâtre différemment dans la ville et on essaie de les faire entrer dans des structures où ils n’entrent pas. » Assignations sociales et de genre, racisme et discriminations, place des immigré-e-s et des Français-e-s d’origine étrangère dans l’histoire de France... les textes proposés par Mohand Azzoug abordent toujours des problématiques dans lesquelles les habitant-e-s peuvent se projeter. « Comment fait-on société aujourd’hui et comment raconte-t-on notre société dans sa multiplicité ? On vient interroger artistiquement ces questions. Après une lecture du texte Elle pas princesse, lui pas héros, une maman a parlé de son fils qui se fait harceler à cause de ses cheveux longs. On est entrés dans l’échange, dans la circulation de la parole, dans la rencontre, dans le partage de réflexions. Ce sont tous ces moments-là que j’essaie de créer. »
Texte : Olivia Moulin ; photo : Léa Desjours