Mar : « Je suis femme, noire, métisse, lesbienne, j’ai 22 ans »

Publiée le 23 juin 2023

Mar : « Je suis femme, noire, métisse, lesbienne, j’ai 22 ans »

Mar

Militante contre les LGBTQI+phobies, Mar est aussi métisse, banlieusarde – originaire du 9.2 et aujourd’hui courneuvienne –, étudiante et professeure stagiaire. Elle revendique avec fierté les diverses composantes de son identité… aux couleurs arc-en-ciel.

Tout le monde l’appelle Mar. Rien à voir avec la mer, même si la mer, elle l’adore. C’est juste le diminutif de Marion. Elle est ravie de s’exprimer pour Regards, le journal l’intéresse, elle est la seule à le lire dans sa coloc. Mar cherche ses mots, prend son temps pour répondre. C’est parce qu’elle est impressionnée : c’est sa première interview.

Mar habite aux Six-Routes depuis 2020. C’est un choix pour se rapprocher de son travail et de son lieu d’études. Sa semaine s’articule autour de trois activités. Elle est en master 1 et étudie la littérature jeunesse, les métiers du livre, de l’édition et de la lecture pour jeune public. Elle est professeure des écoles stagiaire en CE1 dans une école de Stains. Elle milite bénévolement à la Pride des banlieues. La banlieue, elle en vient (9.2), elle y vit (9.3) et elle sait qu’étymologiquement, ça veut dire le lieu du ban, de la mise à l’écart, de l’ostracisme sous toutes ces formes : racisme, classisme (discrimination de classe, ndlr), islamophobie, LGBTQI+phobie. « Je suis femme, noire, métisse, lesbienne, j’ai 22 ans, résume-t-elle. Je suis à un moment de ma vie où j’ai envie de militer pour ma communauté, d’agir concrètement, sur le terrain. Je veux lutter contre les LGBTQI+phobies mais aussi contre le racisme et la discrimination sociale. La Pride des banlieues, je m’y retrouve. » Le 3 juin dernier a eu lieu sa troisième édition, 15 000 personnes dans les rues de Saint-Denis, contre 5 000 l’année précédente. Mar sourit : « Nous-mêmes, on n’y croyait pas. On a fait des concerts, des discours politiques, on a invité des associations et on a revendiqué une PMA pour tou-te-s dans la joie queer comme on la connaît. C’était festif et politique. »

« On n’est jamais dans la bonne case. Dire qui on est, c’est un risque. »

Mar a contribué à la création du pôle d’entraide communautaire de la Pride des banlieues, elle en est responsable. Il a pour objectif de répondre aux besoins urgents et directs de la communauté, notamment en ce qui concerne la précarité. À propos des discriminations subies en raison de l’identité, Mar évoque un-e ami-e qui a affirmé que la personne qui vivait avec elle était sa soeur pour obtenir un logement. L’État l’a accusée de mensonge après s’être rendu compte qu’elle était en fait en couple. « Elle a dû rendre ses APL, soupire Mar. On n’est jamais dans la bonne case. Dire qui on est, c’est un risque… J’ai récemment dit à un collègue qui me demandait ce que j’avais fait de mon week-end que j’avais fait la Pride des banlieues. Il m’a dit : “La quoi ?” J’ai juste répété la phrase et il a répondu : “Ah, OK…” J’ai regretté d’avoir parlé. Mais c’est dur de ne pas dire, qu’on nous impose cette honte quand nous, on veut assumer notre identité et être considérés. »

L’accès à la PMA (procréation médicalement assistée) pour tou-te-s est aussi l’un des chevaux de bataille de l’association. « Les personnes trans et les personnes intersexes sont totalement exclues du droit à la PMA sans justification, sous prétexte qu’elles ont la mention “homme” à l’état civil, rappelle-t-elle. Le don est anonyme mais l’appariement est imposé. Ce sont les Centres d’études et de conservation des oeufs et du sperme humain, les Cecos, qui l’imposent en fonction de caractéristiques physiques, c’est-à-dire que donneurs et receveurs doivent avoir la même couleur d’yeux, de peau et de cheveux. Mais il y a une pénurie telle pour les personnes noires et asiatiques qu’il leur faut attendre jusqu’à dix ans contre deux ans pour une personne blanche. On demande à ce que l’appariement imposé soit interdit. » Une pétition a été lancée, qui évoque aussi « les personnes grosses et les personnes handi » à qui l’on interdit de fonder une famille parce qu’elles ne sont pas dans les normes attendues.

Mar est optimiste. Elle croit à la force de l’éducation, à la puissance de la conviction, à l’importance de la sensibilisation. Certaine que la lutte d’aujourd’hui permettra des victoires et offrira des choix, elle a décidé d’assumer, de revendiquer et de vivre sa vie, intensément.


Texte : Joëlle Cuvilliez ; photo : Léa Desjours