Les associations en première ligne

Publiée le 15 déc. 2023

Les associations en première ligne

Restos du coeur

Face à l’augmentation des demandes d’aide, les structures caritatives alertent sur la fragilisation des personnes les plus précaires et sur le manque de moyens pour y faire face.

Le mot qui revient le plus souvent ? « Compliqué. » Pour les responsables des associations caritatives de la ville, le constat est identique : jamais elles et ils n’ont été confrontés à une situation sociale aussi dramatique. Même pendant la crise sanitaire. « On voit vraiment la différence depuis quelques mois, même des personnes en couple et des travailleurs peuvent tomber dans la pauvreté », observe Dama Doucouré, responsable de Bon-Lieu. « Il y a des gens qui n’osaient pas demander de l’aide avant et qui le font maintenant. Et il y a des gens pour qui les choses sont de plus en plus difficiles, qui ont été expulsés de leur logement avant la trêve hivernale par exemple », complète Noëlie Houngbedji, responsable d’Alo Do Alomin. « On reçoit sans cesse des personnes envoyées par l’assistante sociale, mais on a été obligés d’arrêter les inscriptions », regrette quant à elle Nelly Davaux, responsable du comité local du Secours populaire français (SPF). La structure accueille actuellement un nombre de bénéficiaires record : 351, dont 47 nouveaux inscrit-e-s. « Beaucoup sont des mères seules avec enfants. » Quant au centre des Restos du cœur, il a fait face à « un tsunami » de demandes, malgré le durcissement du barème pour la campagne hivernale. « Mais quand on prend le temps d’expliquer aux gens pourquoi on refuse de les inscrire, quand on fait attention à eux, ils comprennent. Ils font preuve d’une résilience incroyable », note son responsable Antonin Mourey.

En cause notamment : l’inflation, qui a atteint 5,2 % en 2022 et devrait s’établir à 5 % en 2023 selon l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee). L’augmentation des prix de l’alimentation, du logement et de l’énergie touche de plein fouet les citoyen-ne-s les plus modestes, d’autant qu’elle ne s’est pas accompagnée d’une augmentation équivalente des minima sociaux.

Bientôt 200 000 personnes sous le seuil de pauvreté

D’après l’économiste Pierre Madec et Noam Leandri, le président du collectif ALERTE (qui fédère 34 fédérations et associations nationales de solidarité), une mère élevant seule ses deux enfants et ne disposant pas d’autres ressources que les prestations sociales (revenu de solidarité active, allocations familiales et logement) a ainsi perdu 200 euros de pouvoir d’achat par mois en deux ans*. Et 200 000 personnes pourraient basculer sous le seuil de pauvreté officiel si les minima sociaux ne sont pas revalorisés en avance, c’est-à-dire avant l’échéance légale d’avril 2024.

Difficile pour les associations de faire face à la demande croissante d’aide alimentaire alors qu’elles sont elles-mêmes touchées par l’inflation. « Avant, quand on remplissait un Caddie pour une famille, on y mettait vingt-quatre œufs et du Nutella, maintenant pour le même prix on y met douze œufs et de la pâte à tartiner. Et il y a des rayons dans lesquels on ne passe même plus », indique Dama Doucouré. La quantité d’aide alimentaire distribuée par Les Restos du cœur a bien baissé aussi. « On donne moins aux 310 familles bénéficiaires actuelles que ce qu’on donnait aux 240 familles bénéficiaires passées », indique Antonin Mourey. Quand les structures n’achètent pas, elles collectent des denrées alimentaires invendues auprès des grandes et moyennes surfaces. Mais sur ce plan-là aussi, la situation se détériore sous l’effet de l’inflation et de la lutte contre le gaspillage alimentaire. « Les magasins nous font de moins en moins de dons, ils écoulent les produits jusqu’à la date limite de consommation. Ils font ça même pour la viande », explique Nelly Davaux.

Assos

Heureusement pour leur équilibre budgétaire, les associations caritatives courneuviennes disposent gracieusement de leurs locaux, qui appartiennent à la Ville, et n’ont pas à assumer les charges d’eau et d’électricité, prises en charge par la Ville. Elles peuvent aussi compter sur le soutien des habitant-e-s, qu’elles et ils soient particuliers ou commerçants. « Quand on fait une cagnotte en ligne, on sait que beaucoup de gens vont participer », se réjouit le responsable de Bon-lieu. Pour s’approvisionner, son association a noué un partenariat avec un boucher aux Quatre-Routes, Alo Do Alomin avec un poissonnier dans le même quartier. « Notre objectif, c’est que les familles bénéficiaires puissent manger du poisson frais pendant les fêtes », insiste Noëlie Houngbedji, qui va organiser comme le SPF une braderie courant décembre pour récolter de l’argent.

En appeler à l’État

Si elles fourmillent d’énergie et d’inventivité, les structures caritatives appellent le gouvernement à prendre ses responsabilités face à l’explosion des besoins, face à l’urgence sociale. « C’est le devoir de chacun d’entre nous de se montrer solidaire, mais l’État a démissionné », constate Dama Doucouré. « Ce sont les associations et les collectivités locales qui portent tout », renchérit la responsable d’Alo Do Alomin, qui est aussi conseillère municipale. Ces réponses structurelles leur permettraient aussi de ne pas faire que de l’aide alimentaire, de nourrir les cœurs et les esprits, et pas seulement les estomacs. « On voudrait organiser des loisirs, des sorties culturelles et des vacances pour les personnes qu’on accompagne, glisse Nelly Davaux. Mais pour l’instant, c’est trop compliqué. » 

Texte : Olivia Moulin ; photos : Léa Desjours

*Pour une revalorisation anticipée des minima sociaux, note du 12 octobre 2023, Fondation Jean-Jaurès

Assos