Djura : « Nous chantions tout haut ce que nos mères fredonnaient tout bas »

Publiée le 2 mars 2023

Djura : « Nous chantions tout haut ce que nos mères fredonnaient tout bas »

Djura

Sa quête de liberté l'a menée sur mille chemins, pavés de mille ornières et sur lesquels elle a mené mille combats, véritable épopée où l’alchimie de la création, chaque fois, a transformé la boue en or.

« Quand je suis née, j’ai été nourrie du lait d’une femme stérile, mariée et répudiée sept fois. Ma mère donnait le sein à mon frère. Est-ce la force de cette femme qui m’a permis de combattre ? » La petite Dujra, née en 1949, a 5 ans lorsqu’elle quitte la Kabylie pour rejoindre le père, qui vit en France : « La famille a vécu dans une chambre d’hôtel à Belleville, puis dans le 13e arrondissement, dans un préfabriqué d’une cité d’urgence. J’avais 14 ans quand nous sommes arrivés aux 4 000, à La Courneuve. Nous avons ensuite déménagé de nombreuses fois. »

Le père est alcoolique et violent, Djura essuie les coups, connaît la séquestration, les tentatives de mariage forcé. « Je me suis sauvée de la maison pour acquérir la liberté. Il m’a empêchée de faire du théâtre, je suis allée à l’université de Paris 8 pour étudier le cinéma. »

Jean-Luc Godard n’y est pas pour rien. En 1967, il vient filmer aux 4 000 Deux ou trois choses que je sais d’elle. « Je voyais le tournage de ma fenêtre du treizième étage et comme mon père travaillait de nuit et dormait le jour, j’y suis allée avec une copine. Godard m’a dit : “Tu vas jouer dans le film.” J’ai fait non avec le doigt, puis je me suis dit que je pouvais faire de la figuration, mon père n’allait pas au cinéma. Grâce à Jean-Luc Godard, j’ai commencé à acquérir les idées qui allaient me propulser de l’autre côté de la caméra... »

Elle réalise en effet deux courts-métrages et un documentaire, des films avant-gardistes, expérimentaux. C’est en cherchant des musiques pour Ali au pays des merveilles, qu’elle coréalise en 1975 avec Alain Bonamy, qu’elle rencontre celui qui deviendra son producteur et mari, Hervé Lacroix. « Le film, qui parle de la condition des émigrés, a été restauré il y a un an et demi par Léa Morin et il est sorti à Beaubourg ; il sera prochainement présenté à Bruxelles, dans le cadre de la Journée internationale des droits des femmes », se réjouit-elle.

« Nous portions la tenue rouge et or des femmes kabyles comme un étendard »

Hervé Lacroix l’encourage à s’engager dans la chanson. En 1979, elle fonde le groupe Djurdjura, du nom des montagnes kabyles : « J’ai été dépassée par son succès. Le groupe est passé à l’Olympia... après Oum Kalthoum ! Sur le fronton, il était écrit : “Groupe de femmes algériennes Djurdjura”. Le public arrivait par cars entiers de La Courneuve, Aubervilliers... »

Djurdjura chantera au Théâtre de la Ville, sur la grande scène de la fête de l’Huma, à Mosaïques, l’émission des cultures émigrées qui passe alors sur FR3, le dimanche matin : « Nous portions la tenue rouge et or des femmes kabyles comme un étendard. Mon message, révolutionnaire et féministe, s’adressait à toutes les femmes du monde. Nous chantions tout haut ce que nos mères fredonnaient tout bas. »

Cinéma, musique... En 1991 sort chez Michel Lafon Le Voile du silence, un roman autobiographique. « J’étais mariée à un Français, inconcevable pour les miens... Mes frères sont arrivés chez moi, revolver au poing. J’étais enceinte, j’ai failli perdre le bébé. » Suivra en 1993 une analyse sociologique sur la condition des femmes, La Saison des narcisses (LGF, Livre de Poche). Puis elle créera l’Opéra des cités et invitera l’orchestre des Petites Mains Symphoniques, pas moins de cent enfants, à chanter au Conseil économique, social et environnemental (CESE). En 2017, le président Hollande l’y a nommée, dans le secteur de la culture, à la délégation du droit des femmes et de la francophonie. En 2005, elle avait déjà été élevée au grade de chevalier de la Légion d’honneur.

Son engagement pour la cause féminine et féministe est aujourd’hui intact. « J’ai beaucoup d’admiration pour Mimouna Hadjam, la fondatrice d’Africa 93 », souligne-t-elle. Elle est heureuse d’être invitée à La Courneuve, le 4 mars, pour participer à la rencontre organisée à la Maison de la citoyenneté James-Marson à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes avec ses choristes Nassera, Nabila et Zohra. Comme un retour aux sources du combat...


Texte : Joëlle Cuvilliez ; photo : Salah Mansouri