Malgré les préjugés et les freins, la féminisation est engagée dans les clubs d’arts martiaux et de boxe de la ville.
Le judo, c’est une affaire de fratrie chez les Mupi. Pour le frère et pour les sœurs. « Il n’y a pas de différences entre les filles et les garçons : on fait les mêmes choses, on est tous égaux », lance Joanna, 11 ans, ce mardi 11 octobre au dojo du centre sportif Béatrice-Hess. Comme son grand frère, qui a arrêté depuis, et sa grande sœur, qui prépare la ceinture noire, elle suit des cours au club Judo Courneuvien. « Je voulais me dépenser et apprendre des choses comme eux. » Ce soir-là, elles sont cinq filles sur les quinze élèves benjamins. Et quatre sur les treize élèves du cours suivant, qui regroupe minimes, cadets, juniors et seniors. « C’est compliqué d’avoir un public féminin, commente la vice-présidente du club Myriem El Badrawi, qui pratique elle-même le judo depuis plus de vingt ans. Pour l’instant, on se concentre sur la restructuration du club, mais après on s’attaquera à ce problème. » En cause ? Les stéréotypes de genre qui installent une distinction entre disciplines dites « masculines », associées à la force physique, à l’affrontement, et disciplines dites « féminines », associées à la grâce, à l’entretien. « On m’a déjà demandé pourquoi je laissais mes filles faire un sport de combat et si j’aurais laissé mon fils faire de la danse s’il en avait eu envie ! raconte Élizabeth, la mère de Joanna. Il n’y a pas de sports de filles ni de sports de garçons. Et il faut laisser la chance aux enfants d’essayer ce qu’ils veulent, il faut les soutenir. » Les parents jouent ainsi un rôle majeur dans la différenciation, ou non, des pratiques sportives selon le genre. Ce sont souvent des pères qui encouragent les filles à enfiler des gants de boxe ou le kimono, pour apprendre à se défendre. « Ça aide à prendre confiance et à compter sur soi-même », explique Mohamed, qui accompagne sa fille Chaima, âgée de 10 ans, à son cours de karaté avec le Tenchi Budokan, ce jeudi 13 octobre.
Comme le Judo Courneuvien, ce club voit pourtant les effectifs féminins fondre avec l’âge. « Il n’y pas ou peu de jeunes femmes et de femmes, précise Gobika Tharmagulasingam, présidente de la section karaté, qui l’a pratiqué de ses 10 ans à ses 25 ans. C’est une question d’éducation : il y a des a priori liés au rapport au corps et au regard de l’autre. On a songé à ouvrir une section 100 % féminine, mais on ne l’a pas fait, parce que le sport doit rester ouvert à tous. » La mixité des cours est la règle au Tenchi Budokan et au club de judo, comme dans les clubs de boxe thaïe, le Derek Boxing, et de boxe anglaise, le Ring courneuvien, mais cette question du rapport au corps et au regard de l’autre montre la nécessité d’équipements sportifs adaptés, avec des vestiaires et des douches séparés, pour développer la pratique sportive féminine en général.
L’émergence de modèles féminins
Pour faire tomber les barrières, les responsables des clubs misent sur la communication. « Il faut changer l’image du judo et montrer qu’on peut commencer sur le tard, qu’on n’est pas obligés de faire de la compétition. Quand mes copines viennent au judo, elles y prennent du plaisir ! » insiste Myriem El Badrawi, qui compte faire de la sensibilisation lors de la Journée internationale des femmes et réfléchit à organiser un tournoi pour mettre la pratique féminine à l’honneur. Même souci du côté du Tenchi Budokan. « Pour certaines personnes, le karaté a l’image d’un sport violent alors qu’il est avant tout une manière de vivre fondée sur le respect », note Gobika Tharmagulasingam.
L’évolution des représentations passe aussi par l’émergence de modèles féminins. Au Ring courneuvien, les exploits de Beya Bibi Oumidbloch, sacrée championne de France junior en 2017, ont produit un effet d’entraînement. « On avait voulu développer la pratique féminine avant, mais ça ne mordait pas, note le président Ahmed Kerrar. Maintenant, sur une quarantaine de licenciés, la moitié sont des filles ! » Parmi elles, Ilayda, Rania et Thanyna sont venues chercher un sport complet, qui leur permet de renforcer leur corps et leur mental. Après avoir accédé à la demi-finale du Championnat de France l’année dernière, Ilayda vise la finale cette année. « Quand tu acquiers un bon niveau et que tu montres ce que tu sais faire, ça donne envie, indique-t-elle. Plus on verra des femmes et des filles pratiquer la boxe, plus on se dira qu’on peut en faire aussi. »
Texte : Olivia Moulin ; photos : Léa Desjours