Salif Cissé fait partie des trente-deux comédien-ne-s révélés aux derniers César. Engagé dans une carrière prometteuse dans le 6e et le 7e art, c’est en terminale, au lycée Jacques-Brel, qu’il a découvert le plaisir de monter sur les planches.
D’une enfance vécue paisiblement « du côté de Robespierre » entouré de ses trois sœurs, Salif Cissé extrait un souvenir : « Ma mère me faisait énormément lire quand j’étais petit, elle n’avait pas beaucoup de temps mais elle avait l’impression que ce serait essentiel pour l’avenir. » Jeune adulte, il s’intéresse à l’économie et à la politique, à « tout ce qui s’attache à la vie réelle ». Mais il succombera finalement à l’appel des planches après avoir fait l’expérience du théâtre en terminale, au lycée Jacques-Brel. « Monter sur scène pour la première fois, c’est la sensation la plus forte que j’ai eue de ma vie ! » s’exclame-t-il.
Au conservatoire du 1er arrondissement de Paris, il découvre qu’il est le seul à venir de banlieue, le seul Noir aussi. « Ça m’a fait prendre conscience de beaucoup de choses, commente-t-il. D’un coup. Ce n’est pas anodin de venir de La Courneuve. »
« J’ai été frappé par le phénomène de gentrification, l’effacement de la culture et de l’identité d’un lieu. »
Alors qu’il joue dans la pièce Sainte Jeanne des abattoirs, de Bertold-Brecht, mise en scène par Marie Lamachère et créée à la MC2 de Grenoble, un des comédiens lui conseille de passer le concours du Conservatoire national de Paris. Il suit le conseil, réussit le concours. À la télévision, on le voit dans la saison 2 de Narvalo et d’Ovni(s). Il est l’un des rôles principaux de la série Endless Night qui sortira prochainement sur Netflix. Les séries, c’est l’une de ses grandes passions. L’autre, ce sont les États-Unis. « Quand u viens d’une ville gérée par une majorité communiste, tu découvres que le gap qu’il y a entre ici et là-bas, c’est énorme. Dans une société proprement libérale et capitaliste, quand c’est la misère, c’est la misère. J’ai été frappé par le phénomène de gentrification, l’effacement de la culture et de l’identité d’un lieu. Au point que quand je suis rentré, j’ai écrit une mini-série sur le sujet, Couronnes. »
Réalisée par Julien Carpentier, diffusée sur Pickle TV, Couronnes est sélectionnée par Séries Mania dans le format court en 2020 et, comme un héros de cinéma, essuie rebondissements et coups de théâtre. « Il y a eu le confinement et le festival international de séries le plus vu au monde a été annulé, résume-t-il. Mais
les producteurs avaient accès aux films via une plateforme. Une productrice m’a appelé pour me demander si j’accepterais d’écrire la suite de la série Reuss. » Devenu scénariste, il entre dans le dispositif « Grow Creative » de Netflix et réalise un rêve : entrer dans une room d’auteurs.
« Le choix d’un rôle est tout, sauf anodin »
Le cinéma se chargera de faire de lui une étoile montante. En 2019, il joue dans À l’abordage, une comédie de Guillaume Brac. Le film sort en salles le 21 juillet 2020... premier jour de présentation obligation du passe sanitaire. « Il n’a pas fait de grosses entrées, mais il est passé sur Arte, précise Salif Cissé. Le lendemain de sa diffusion, je suis allé acheter un tournevis. Dans le magasin, un vigile me dit : “ Mais... je t’ai vu hier à la télé...” » Salif Cissé éclate de rire : « Je n’en revenais pas ! »
Son interprétation du personnage de Chérif lui vaut de faire partie de la sélection des trente-deux comédien-ne-s des Révélations 2022 des César. Selon lui, le choix d’un rôle est tout, sauf anodin. « On m’a un jour proposé de jouer un personnage qui portait une longue veste en cuir et qui traînait avec une racaille. Le gars ouvrait et fermait une porte. Il n’avait pas de réplique. Je me suis dit : “Ah quand même ! Tu fais les mêmes écoles que les autres, tu apprends l’art du clown, le masque, tu fais ce qu’on appelle la formation par excellence et c’est ça qu’on te propose ?” »
Aujourd’hui, il interprète un juge dans Et le cœur fume encore, mise en scène par Margaux Ezkenazi. La pièce, éminemment politique, fait référence à la guerre d’Algérie. Et permet à Salif Cissé d’aller puiser en lui l’essentiel de ce qu’il peut offrir aux spectateur-rice-s : une présence solaire, habitée par une passion sans faille.
Texte : Joëlle Cuvilliez ; photo : Léa Desjours