Safina Djoubeiri, épouse Sarahani : « Il faut prendre la vie comme elle vient »

Publiée le 5 oct. 2022

Safina Djoubeiri, épouse Sarahani : « Il faut prendre la vie comme elle vient »

Safina

Safina est courneuvienne depuis près de quarante ans. Le 24 septembre dernier, elle s’est retrouvée avec sa nièce Mwen en finale du Championnat du monde des cuisines du monde, organisé par In Seine-Saint-Denis pour présenter au jury des spécialités de son pays d’origine, les Comores.

En duo de choc avec sa nièce Mwen, Safina a concouru dans la catégorie « recettes de familles » lors de la finale du Championnat du monde des recettes de cuisine du monde organisé par In-Seine-Saint-Denis, le 24 septembre dernier. Et c’est toute la générosité des Comores que les deux femmes ont présentée au jury en proposant, en temps limité, un menu complet. « Nous avons préparé des samosas à la viande et un riz pilaf, explique-t-elle. Le dessert était une création, une crème fouettée avec coulis de mangue et roho, un gâteau à base de beurre clarifié, de lait concentré, de cardamone et de vanille. »

Le duo familial n’a pas gagné le championnat, mais le bonheur d’avoir mis à l’honneur la cuisine comorienne. « Ça m’a fait plaisir de représenter le département dans lequel je vis, ainsi que ma commune, confirme-t-elle. Les membres du jury qui ont goûté mes plats étaient de grands personnages qu’on voit à la télé ! » Du plus loin qu’elle se souvienne, Safina a passé beaucoup de temps dans la cuisine à observer sa mère et sa grand-mère derrière les fourneaux. « Je regardais, je reproduisais, résume-t-elle. En France, j’ai fait la même chose pour les gâteaux au yaourt, les pizzas, les pâtes... »

Proust avait une madeleine pour replonger dans son enfance. Avec la gastronomie comorienne, Safina a la capacité de se téléporter jusqu’à la Grande Comore, à Mitsoudjé, chef-lieu de la préfecture de Hombou d’où elle est originaire et qu’elle n’a jamais vraiment quitté, puisqu’il habite toujours son cœur et son esprit. « Quand j’y vais l’été, je suis bien, même mes douleurs partent », confie-t-elle. Elle y habitera jusqu’en 1984. « Cette année-là, je me suis mariée. Mon mari habitait à La Courneuve, je l’ai rejoint. Laisser tous les amis, la famille, s’exiler, c’est dur. Au début, je ne sortais pas de chez moi, je me demandais ce que je faisais là. Mon arrivée… C’était un choc… Le monde à l’aéroport, l’ascenseur de l’immeuble... Il faisait très froid, nous étions en plein hiver, il neigeait. Je n’avais jamais vu la neige. »

« Je préparais des samosas pour le forum des associations, pour les fêtes d’école, pour les copains des enfants qui venaient à la maison. »

Safina décide de prendre sa nouvelle vie à bras le corps, puisant de la force dans l’énergie de l’action. Elle élève ses quatre enfants sans jamais perdre de vue un objectif majeur : trouver un travail. « Heureusement, je savais lire et écrire ! explique-t-elle. J’ai commencé des cours du soir, pour bien apprendre le français. Puis j’ai fait une formation pour être caissière et vendeuse mais je me suis retrouvée enceinte. Quand l’enfant est arrivé, je me suis battue pour atteindre mon but. J’ai mis mon fils à la crèche et j’ai commencé à travailler. » Mais la flexibilité, qui rime plus souvent avec productivité et rentabilité qu’avec sérénité, la prend de cours. Les horaires sont contraignants, elle travaille le soir et le week-end, manque de temps pour suivre la scolarité de ses enfants. Elle « se tourne alors vers le ménage », quitte à travailler très tôt le matin et en soirée pour disposer d’une partie de ses journées avec les siens. Malgré un emploi du temps chargé, elle continue de préparer des plats traditionnels. « Je faisais des samosas pour le Forum des associations, pour les fêtes d’école, pour les copains des enfants qui venaient à la maison, précise-t-elle. Même pendant Ramadan, il fallait réserver une assiette de samosas pour les amis. Pour moi, c’était très important, ça permettait d’échanger, de partager. »

Les enfants sont devenus grands, deux d’entre eux ont fondé une famille et Safina est aujourd’hui grand-mère. « Je suis fatiguée mais je continue de travailler et puis je vais voir mes petits-enfants, mes nièces, je donne un coup de main quand je peux. Là où je vois des gens, je ris, je suis contente. » Elle sourit d’un coup, baisse les voix : « Vous savez, j’ai dansé avec les associations comoriennes au centre Houdremont dans les années 90. Aujourd’hui, même quand je suis seule, je cuisine, je cuisine et je chante. C’est ça la vie, il faut la prendre comme elle vient… »

Texte : Joëlle Cuvilliez ; photo : Léa Desjours