Rachid Bouchareb : « Le thème central de mes films, c’est l’injustice »

Publiée le 18 nov. 2022

Rachid Bouchareb : « Le thème central de mes films, c’est l’injustice »

Rachid Bouchareb

Dans son long métrage Nos frangins, qui fera l’objet d’une projection spéciale à L’Étoile le 2 décembre* avant sa sortie en salles, Rachid Bouchareb revient sur le meurtre du jeune Courneuvien Abdel Benyahia par un policier en 1986.

Il entend retracer sur grand écran les pages sombres ou oubliées de l’histoire de France. Après avoir évoqué les combattants nord-africains de la Seconde Guerre mondiale dans Indigènes et la guerre d’Algérie dans Hors-la-loi, Rachid Bouchareb aborde le double drame survenu au cours de la nuit du 5 au 6 décembre 1986 dans Nos frangins. À Paris, en marge d’une manifestation contre le projet de loi Devaquet de réforme de l’université, l’étudiant Malik Oussekine est tabassé à mort par des policiers à moto. Et à Pantin, Abdel Benyahia, un habitant de la cité des 4 000, âgé de 19 ans, est tué par un policier hors service et complètement ivre alors qu’il tentait d’interrompre une bagarre. Une bavure que les autorités ont étouffée pendant quarante-huit heures, pour ne pas ajouter à la révolte déclenchée par le meurtre de l’étudiant.

« Personne ne connaît l’histoire d’Abdel Benyahia en France, ce film va révéler ça. »

« C’est un sujet qui m’intéressait depuis longtemps, indique le cinéaste d’origine algérienne. J’ai appris l’affaire Malik Oussekine en direct, à la télévision, comme des millions d’autres Français. Et j’ai eu l’information de la mort d’Abdel par le bouche-à-oreille, parce que j’habitais à côté, à Bobigny. À chaque fois qu’il y avait une bavure policière comme ça, l’information remontait par des gens de la communauté et des membres d’associations. La première affaire, très couverte médiatiquement, a caché l’autre. Personne ne connaît l’histoire d’Abdel Benyahia en France, ce film va révéler ça. » Et rendre hommage à deux victimes du racisme institutionnel. « C’est évident, non ? Ils s’appelaient Malik et Abdel ! »

Même s’il est inspiré de faits réels et comporte de nombreuses images d’archives, Nos frangins reste une fiction, avec des scènes, des personnages, des réactions, des dialogues inventés. « Je n’aurais pas pu me lancer dans une aventure aussi douloureuse pour les familles si elles s’étaient opposées à ce que je fasse le film, mais je ne les ai pas associées au projet, précise Rachid Bouchareb. Je tenais à leur parler, à leur demander certaines choses, j’ai parlé avec un frère d’Abdel, mais très peu. » Avec le personnage du père d’Abdel, qui subit les événements, il a ainsi voulu représenter la première génération d’immigré-e-s. « Il est très effacé comme l’étaient mon père, mes oncles, les parents des acteurs du film... Ils rasaient les murs, ils avaient connu la guerre d’Algérie, le couvre-feu, le 17 octobre 1961, alors ils savaient de quoi la police était capable. Ça a changé après. »

La répression exercée contre les Gilets jaunes, les manifestations contre les violences policières et le racisme... Pour le réalisateur, tout renvoie à cette date du 17 octobre 1961, quand la police parisienne a massacré entre 200 à 300 manifestant-e-s rassemblés pacifiquement contre le couvre-feu imposé aux Algérien-ne-s et pour l’indépendance de l’Algérie. « On parle de violences policières comme si ça datait d’hier, mais pour moi ça existe depuis toujours. On ne connaît pas le nombre exact de victimes, on ne connaît pas leurs noms, on ne connaît rien de tout ça. »

Pas question pour autant d’enfoncer la police dans le film, qui introduit le personnage d’un inspecteur chargé d’enquêter mais aussi d’occulter les deux affaires. « C’était intéressant de montrer quelqu’un qui obéit aux ordres mais qui est humainement perturbé par ce qu’il fait. J’ai été marqué par l’histoire de ce policier qui a prévenu les Algériens de son quartier qu’il ne fallait pas aller manifester le 17 octobre. Il y a des gens comme ça dans la police. »

Alors, engagé le cinéma de Rachid Bouchareb ? « Ce qui compte, c’est de passer à la discussion. L’injustice, c’est le thème central de mes films. Lors des projections, les gens me disent qu’on vit dans les discriminations, les inégalités et les violences depuis trop longtemps. C’est à eux de faire un choix lors des élections et d’influencer ceux qui nous dirigent pour que les choses changent. Il ne faut pas baisser les bras. »

Texte : Olivia Moulin ; photo : Léa Desjours

 

*à 20h, au cinéma L’Étoile, 1 allée du progrès.