Federico Lifschitz : « On sait bien que La Courneuve, c’est la plaine des Vertus »

Publiée le 1 déc. 2022

Federico Lifschitz : « On sait bien que La Courneuve, c’est la plaine des Vertus »

Federico

Federico Lifschitz, anthropologue, achève une thèse sur une communauté mexicaine où les femmes indiennes ont joué un rôle important dans la lutte contre les narcotrafiquants. Il a choisi de vivre à La Courneuve pour son passé maraîcher.

Parfois, d’une rencontre inattendue, surgit un inexplicable sentiment de complicité. Celle avec Federico Lifschitz s’est faite au pied des falaises dieppoises, alors qu’il était en compagnie de Chloé, jeune ingénieure et joueuse de soubassophone pleine de multiples talents.

« J’habite La Courneuve depuis fin août », a-t-il annoncé en guise de présentation. La glace étant brisée, il a raconté. La grande maison aux Six-Routes dans laquelle cohabitent des ami-e-s originaires du Chili, de Colombie, d’Angleterre, d’Algérie, de France... Son arbre généalogique à lui, qui plonge ses racines dans bien des terroirs : « Le grand-père de ma mère était sicilien, il a émigré en Argentine. Dans ma famille, il y a des Russes, des Biélorusses, des Galiciens, des gens venant d’Angleterre, du nord de l’Italie. »

Quand on a tant de paysages à l’intérieur de soi, le voyage au long cours, forcément, ressemble à un pas de côté. Federico a vécu en Argentine jusqu’à l’âge de 17 ans, a fini le lycée au Chili puis s’est rendu à Pise, en Italie, où il a étudié la philosophie pendant sept ans. Une escapade au Mexique lui a fait connaître l’extraordinaire histoire de la communauté p’urhépecha de San Francisco Cherán, dans l’État de Michoacán.

Installé en France, il présente l’idée née de son escapade mexicaine à l’anthropologue et chercheuse Anath Ariel de Vidas, qui valide son projet. « La communauté p’urhépecha de San Francisco Cherán a réussi à reconquérir les terres et la forêt que leur avaient confisquées les narcotrafiquants avec la complicité d’autorités politiques corrompues, résume-t-il. Les narcotrafiquants voulaient cultiver de manière intensive l’avocatier. De 2007 à 2011, ils ont déboisé, il y a eu beaucoup d’enlèvements, de meurtres, de disparitions jusqu’au matin du 15 avril 2011 : un groupe de femmes a stoppé les camions, enfermé les chauffeurs dans l’église et sonné les cloches pour avertir le village. Le soulèvement a commencé. Je veux comprendre le système politique issu de ce soulèvement qui a permis aux habitants de reprendre le contrôle des terres. »

« L’idée, c’est de faire de l’agriculture urbaine, il y a toute une tradition maraîchère ici. »

Federico s’inscrit à l’EHESS, l’École des hautes études en sciences sociales, soutient un master en anthropologie, s’inscrit en doctorat, repart sur son terrain de recherches au Mexique et rentre en France... une semaine avant le confinement. « J’ai eu beaucoup de chance, j’ai décroché une bourse de recherche et pu écrire pendant les deux ans qu’a duré la pandémie dans un appartement loué par le Crous, précise-t-il. Aujourd’hui, je suis en cinquième année de doctorat. Quand j’aurai soutenu ma thèse, j’aimerais continuer la recherche et enseigner. » En attendant, il fait face à de nombreux engagements : rédiger sa thèse, des articles, écrire un livre pour le CNRS en partenariat avec des photographes.

Homme de communauté, Federico est aussi un homme-orchestre. Au sens propre comme au figuré. Pour se détendre, il joue de la trompette dans deux fanfares, celle de l’université Paris-VIII, et celle des Arts décoratifs, les Tyrassonores. Et avec ses colocs, il cultive son jardin, celui de la grande maison des Six-Routes, où il vient de s’installer. « L’idée, c’est de faire de l’agriculture urbaine, explique-t-il. On sait bien que La Courneuve, c’est la plaine des Vertus, il y a toute une tradition maraîchère ici. Mon voisin retraité, est un monsieur qui a travaillé toute sa vie dans la mécanique agricole ; à la base, c’était un maraîcher. Il a planté un cerisier, un noisetier. Il nous prête des outils. »

Et les ami-e-s de cette nouvelle communauté courneuvienne ont bien des idées pour partager leur savoir-faire et s’engager dans des projets communs : « Dans la maison, il y a un immense grenier et un grand sous-sol. On veut en faire une salle de répétition insonorisée pour la musique, organiser des ateliers pour travailler le bois, fabriquer des confitures, installer un four à pain... » Transmission de technicités, construction de réseaux sociaux, développement de solidarités : on dirait bien que l’esprit des femmes indiennes p’urhépecha a trouvé où s’implanter...

Texte : Joëlle Cuvilliez ; photo : Léa Desjours