Dans le cadre de la Semaine de la presse et du dispositif Renvoyé spécial de la Maison des journalistes, une classe de seconde du lycée Jacques-Brel a rencontré un journaliste venu de Syrie. Témoignage in situ sur le déni de liberté, d’expression démocratique et la réalité de l’exil.
Vendredi 25 mars, la classe de seconde 10 du lycée Jacques-Brel s’apprête à recevoir au CDI un hôte très spécial. Il s’agit de Sakher Edris, journaliste exilé en France. L’homme vient de Syrie, il a quitté son pays en 1991, à la suite de l’emprisonnement de son père et de son oncle. Cette rencontre est le point d’orgue d’un projet pédagogique mené dans le cadre de la Semaine de la presse et des médias par deux professeures, Barbara Alhomme, documentaliste, et Marie Stochitch, professeure d’histoire-géographie. « Nous finalisons un projet commencé en début d’année et que nous avons poursuivi pendant les cours d’EMP, d’éducation morale et civique jusqu’à aujourd’hui, à raison d’une heure toutes les deux semaines », confirme Marie Stochitch.
La liberté et de la démocratie au cœur du projet
Dès la rentrée scolaire, les deux enseignantes tentent la sélection de Renvoyé spécial, un dispositif mis en place par le Centre pour l’éducation aux médias et à l’information (CLEMI) et la Maison des journalistes. Il a pour objectif de sensibiliser les lycéen-ne-s à la liberté d’expression et au pluralisme dans les médias, et doit leur permettre de rencontrer un-e journaliste réfugié-e politique en France. « Discuter en face à face avec un journaliste et, qui plus est, un journaliste exilé, cela permettait d’aborder aussi des questions comme la liberté de de déplacement, la démocratie », précise Barbara Alhomme.
La candidature est élaborée avec les élèves, elle s’appuie sur les arguments qu’elles et ils développent. Les arguments portent, la candidature est acceptée. En attendant de pouvoir échanger de visu avec le journaliste exilé, les élèves travaillent la question de la liberté et, plus précisément, de la liberté de la presse, une question au programme d’EMP. « Ils ont vu ce qu’était le métier de journaliste, sont allés à la découverte des médias, ont fait des infographies, ont constitué par groupes des cartes de journalistes qui ont subi des répressions dans leur pays », explique Marie Stochitch.
Aider les journalistes en danger
Barbara Alhomme ne cache pas sa satisfaction : « Rien ne vaut le témoignage pour les élèves. Nous avons fait des mises en action pratiques avec des exercices, mais avoir quelqu’un qui raconte son parcours, ce que c’est que d’être journaliste dans un pays pas forcément démocratique, qui raconte l’exil, ça permet aux élèves de comprendre concrètement ce qui se passe, ce qui est en jeu. »
Juste avant que ne commence l’échange, les représentantes de la Maison des journalistes ont expliqué la raison d’être de l’établissement, qui fêtera ses 20 ans cette année : le lieu accueille et héberge des journalistes exilés, les aide dans les démarches administratives, l’accès aux droits, l’acquisition de la langue française...
Sakher Edris trace alors longuement les grandes lignes de l’histoire de la Syrie, rappelle la situation politique qui y prévaut aujourd’hui. Il raconte la caricature de démocratie, la Révolution de 2011, les atteintes aux droits de l’homme, le demi-million de personnes faites prisonnières, la torture, les dix millions de Syrien-ne-s réfugiés dans le monde. Il décrit aussi la résistance, la création de l’association des journalistes syriens (SJA) qui compte aujourd’hui 451 membres, dont 79 femmes.
« C’est difficile de s’exiler, de recommencer à zéro et même en dessous de zéro, témoigne-t-il. Je retournerais en Syrie si la situation s’améliorait. » Et, répondant à la question des élèves : « Être journaliste ? Non, ce n’était pas un rêve, mais le moyen de témoigner. Mon souhait ? Que la famille Assad passe au tribunal de La Haye. »
Les visages sont graves, les questions fusent. Les élèves n’en resteront pas tout-à-fait là. Certain-e-s ont pris des notes, d’autres des photos, un article va être publié sur le site du lycée, une exposition est en devenir. Des vocations, peut-être, sont déjà là, en devenir…
Texte : Joëlle Cuvilliez ; photos : Léa Desjours
Quelques chiffres
En 2021, 488 journalistes ont été emprisonnés dont 60 femmes, d’après Reporters sans frontières. 55 ont été tués.