Pour Raphaëlle, collectionneuse d'histoires, le voyage fabuleux a été l’Inde. Ce pays la transporte dès qu’elle y pose le pied. Cette ancienne peintre de décors partage depuis maintenant sept ans sa passion. Elle propose des balades qui sont une invitation au voyage au cœur de Paris et de la Seine-Saint-Denis. Dans ces petits mondes indiens recomposés, Raphaëlle se sent comme un poisson dans l’eau.
«Il adore ! » répond-elle au serveur. Raphaëlle est assise au fond d’un restaurant sri-lankais, place du 8-Mai-45. Elle commande un kottu parotta à emporter pour son fils. Ce plat est un mélange de galette et de légumes finement découpés et épicés. Pour elle, ce sera un vada, un assortiment d’en-cas frits. Raphaëlle ne s’épanche pas sur elle. Mais une chose l’émeut, ce sont les histoires des autres, qu’elle se plaît à raconter. Elle s’arrête brusquement de conter et sourit. Son regard est captivé par un détail. Dans le restaurant, un client entre. Il porte au poignet un bracelet sikh. Cet homme de l’Inde du Nord rencontre la cuisine de l’Inde du Sud. Raphaëlle est amusée par ce mélange de cultures qui fleurit à La Courneuve. Car ce pays abrite dans ses terres des religions, des langues, des régions, des cultures et des climats extrêmement différents. Raphaëlle aime cette complexité. Elle observe beaucoup, décortique et se questionne. « J’aime regarder, observer et écouter les gens. »
« Ce qui me fascine, c’est la capacité des Indiens à garder de l’ancien tout en allant très loin dans l’avenir. »
De cette manière de voir le monde, elle en a fait son métier. Autodidacte, Raphaëlle ne se reconnaît pas comme une guide conventionnelle. Pour elle, il s’agit d’emmener ses visiteur-euse-s en balade, dans les quartiers indiens de La Courneuve, d’Aubervilliers, de Paris ou de Pantin. En effet, « au-delà du périphérique, il y a également de très belles histoires ».
Cette ancienne travailleuse sociale a une aisance pour écouter les histoires des autres. Et elles l’ont enrichie. Son premier séjour en Inde est un bouleversement. Elle le décrit comme une claque. « C’est une densité de population incroyable à laquelle on n’est pas habitué. Des odeurs qui sont décuplées, des couleurs qui sont dix fois plus violentes, plus fortes, et plus lumineuses qu’ici. » Ce pays loin du monde occidental la captive. « L’Inde, c’est tout ou rien. On peut être dans le merveilleux, l’extase, et, d’un seul coup, un événement stressant peut se produire. C’est un pays qui vous bouscule. » L’Inde du Nord, avec son paysage montagneux, ses plaines, ses campagnes, sa frénésie et sa rudesse, la fait vibrer. « On a l’impression que rien n’y est acquis. Beaucoup d’Indiens ne peuvent pas se projeter, on est donc davantage dans l’instant. »
La Courneuve est sa ville fétiche. Il faut bien l’avouer aussi, un peu son observatoire. Elle y côtoie tous les jours cette population indienne qu’elle retrouve aussi dans toute la France. Raphaëlle connaît bien les patron-ne-s des commerces. Elle laisse dans ses balades des espaces de spontanéité et s’arrête parfois pour saluer un-e commerçant-e. Il s’agit avant tout d’échanger et de se laisser emporter.
Concocter de nouveaux parcours
Ces balades, qui se font au fil de l’eau, sont en réalité rigoureusement travaillées. Raphaëlle diversifie ses sources. Livres, thèses, expositions, conférences et même travaux d’étudiant-e-s en sociologie et en anthropologie. Elle travaille durant des mois pour concocter un nouveau parcours.
Raphaëlle apprend tous les jours sur cette population. Leur courage et leur débrouillardise la touchent, ainsi que leur relation au présent et au passé. « Ce qui me fascine chez les Indiens aujourd’hui, c’est leur capacité à garder de l’ancien, tout en allant très loin dans l’avenir. »
Raphaëlle est impressionnée. Mais il ne faut pas croire qu’à chacun de ses voyages, elle remplit ses bagages de souvenirs. Chez elle, rien n’y fait référence. Mais un rapide tour en cuisine révèle que celle-ci est essentiellement indienne. Ses ami-e-s les plus proches, ses voisin-e-s et son mari le sont aussi. Les yeux pleins d’étoiles, Raphaëlle évoque ces soirées nocturnes, passées au balcon à échanger avec ses voisin-e-s. Elles et ils lui racontent le Bengale, berceau de la littérature et de la poésie. Dans le visage de Raphaëlle se lit l’enchantement. Elle rêve déjà de cette prochaine destination. Encore une aventure à vivre, remplie d’histoires fabuleuses.
Texte : Rahima Ouali : photo : Léa Desjours