La Ville a confié des pièces de sa collection d'objets maraîchers à l'Institut national du patrimoine (INP), situé dans l'ancienne Manufacture des allumettes, à Aubervilliers.
Mathilde et Keltia sont toutes les deux étudiantes de 1re année en restauration/conservation, spécialité mobilier à l'Institut national du patrimoine. Leur mission ? Assainir et redonner l’éclat d’origine de deux objets du début du 20ème siècle : une pelle à grain et une cagette (ou caisse à légumes), toutes deux en bois. « A première vue, notre tâche peut paraître simple, annonce Keltia. Mais il faut être très précautionneux avec de tels objets ». Avant toute chose, ils sont étudiés sous toutes les coutures. L'état actuel, la raison de l'état actuel, le matériau, tout est minutieusement analysé. Vient ensuite l’heure du décrassage. « S'il y a des traces de terre ou de la poussière, par exemple, des moisissures peuvent se développer, souligne Mathilde. Le moindre mauvais geste peut entraîner une dégradation. » Avec un pinceau en poils de chèvre et un aspirateur, elles dépoussièrent avec la plus grande attention. « Et si jamais cela ne suffit pas, on tapote délicatement avec une gomme ».
Ces objets font voyager dans le temps. Un soupçon d’imagination suffit pour être transporté à l’époque. La cagette à légumes, pyrogravée des initiales « E.R », sans doute celle de son propriétaire, nous plonge dans les Halles de Paris. Il est presque possible de voir le maraîcher soulever sa caisse et la charger sur sa charrette. Trêve de rêverie, le numéro d’inventaire 2019-240 étiqueté sur l’objet nous ramène à la réalité. Keltia et Mathilde doivent trouver le moyen de consolider la structure. Une pointe en métal pour refixer les bords et un traitement préventif au xylophène seront peut-être utiles.
Pour ces étudiantes, la manipulation d’objets en bois d’époque arrive à point nommé. Benoît Jenn, leur professeur et responsable de l’Atelier de restauration mobilier au Musée des arts décoratifs de Paris, témoigne de la pertinence du partenariat engagé par l’unité Développement culturel et Patrimoine de La Courneuve et l’INP : « Le travail du bois en première année est le cœur de cette formation. Ces objets-là ne sont pas les plus dégradés, mais ont un intérêt pédagogique considérable pour les étudiants ».
Les 2ème année, Océane et Lucie, ont la mission de restaurer un baquet...en morceaux pour le moment. « On a déjà bien avancé. On peut voir qu'il n'y a plus du tout de rouille. Maintenant, il faut reconstituer une séquence de douelles. Là, notre but est de remettre en forme ce tonneau pour un remontage. » Et ce n'est pas aussi simple à dire qu'à faire. Les étudiantes pensent compenser les trois douelles manquantes avec des tasseaux de balsa. Cela permettra de retrouver le diamètre initial de l'objet. « Cette formation à l'INP amène du savoir-faire mais également une manière de penser, rappelle Benoît Jenn. On se dit qu'on veut tout conserver et qu'on se donne tous les moyens possibles pour le faire... » Et ce n'est pas pour déplaire aux étudiantes, qui ne suivent pas ce cursus par hasard : « Je viens de l'ébénisterie. J'ai beaucoup manipulé le bois. J'ai fabriqué avant de restaurer. Je n'aime pas la création, je préfère le côté historique, la valeur des œuvres. Même si la restauration/conservation est un métier d'ombre, ces objets du patrimoine français rappellent l'histoire, » conclut Mathilde.
Texte : Isabelle Meurisse ; photos : Léa Desjours
Le patrimoine maraîcher de la ville
À la fin du 18e siècle, la croissance urbaine de Paris éloigna les activités maraîchères vers sa périphérie, les conduisant à s’étendre progressivement en Île-de-France, notamment vers la « Plaine des Vertus ». Aubervilliers, puis La Courneuve, devinrent ainsi un des pôles de production maraîchère durant le 19e siècle.
Les maraîchers franciliens alimentèrent les Halles de Paris jusqu’aux années 1970, leur activité ne survivant pas aux mutations sociales et économiques. Préoccupée par la disparition de cette activité emblématique de son histoire, la Ville de La Courneuve se préoccupa dès 1980 de la sauvegarde de ce patrimoine. Elle initia une collecte d’objet et de témoignages qui conduisit à la constitution d’une collection d’étude de plusieurs milliers d’objets relatant la vie quotidienne des maraîchers.
Ces collections sont aujourd’hui conservées dans des réserves et prêtées auprès de différents partenaires et institutions, comme la Ferme Ouverte de Saint-Denis ou l'Institut national du patrimoine (INP).
La manufacture des allumettes
La manufacture des allumettes, installée à Aubervilliers en 1872, était le lieu de la fabrication des allumettes. Elle a été reconstruite en 1902 avec sa cheminée de plus de 45 mètres de haut. Patrimoine industriel incontournable de la ville et du département, cette ancienne manufacture d'état rayonne par sa cheminée classée monument historique. En 1962, les ventes d'allumettes chutent, la manufacture feme. Elle abritera, à titre provisoire, des classes du lycée d'Aubervilliers, alors à l'étroit dans des bâtiments préfabriqués jusqu'à la fin de l'année 1967, date de l'ouverture du lycée Henri Wallon. La Documentation Française s'y installe et y restera jusqu'à fin 2010. En 2015, l'institut National du Patrimoine déménage de la Plaine Saint-Denis pour s'installer dans des locaux réhabilités. Les aménagements ont été pensés pour le bien des élèves, tout en modernité mais en respectant l'esprit industriel du lieu.