Mehdi est le gérant de la boulangerie-pâtisserie La Belle Époque, aux 4000 Nord. Il aime le travail bien fait. Dans cette boulangerie, on trouve des pâtisseries fines, des ingrédients de qualité, un salon de thé pour échanger, des étudiant-e-s en stage, des professionnel-le-s de haut rang, des client-e-s satisfaits et le sourire à tout moment.
« Depuis qu’il y a la boulangerie, il y a plus de gaieté dans le quartier ! » s’exclame Mohamed-Salah, une baguette chaude à la main. Mehdi, l’homme qui l’a co-créée au cœur des 4 000 il y a tout juste deux ans avec son ami et associé Rachid, confirme : s’il est né à Paris, les années qui ont marqué son enfance et son adolescence sont celles qu’il a passées au mail, puis dans le quartier Balzac. C’est à La Courneuve, naturellement, que son projet devait voir le jour. Pourtant, il ne se destinait pas à la boulange. Ce qu’il aimait, c’était dessiner. Des orientations scolaires mal adaptées et la cherté des inscriptions à l’école des Beaux-Arts ont eu raison de ses aspirations. Pas de son énergie. Il passe un BTS, s’inscrit dans une agence d’intérim. « On m’a mis à l’essai au Cardinal à Paris, raconte-t-il. Je ne savais pas faire un nœud de cravate ! Je suis arrivé, on m’a donné cinquante tables à gérer. Heureusement, un serveur m’a aidé. »
« Avant d’avoir la boulangerie, mon rêve, c’était d’ouvrir un lieu où les femmes pourraient se rassembler »
Mehdi apprend vite. Il enchaîne les missions dans des palaces, chez Lenôtre, au George V. Fan de pâtisserie, il va jusqu’aux Abbesses, à Montmartre, pour ramener à sa famille et ses amis des gâteaux particulièrement fins. Il fait un stage. Petit à petit, une idée prend forme : en combinant les différentes compétences acquises au fil de ses expériences professionnelles, il décide de monter sa propre structure. Très vite, La Belle Époque s’impose comme un espace de partage et un état d’esprit. « Avant d’avoir la boulangerie, mon rêve, c’était d’ouvrir un lieu où les femmes pourraient se rassembler ; dans les cafés, ici, il n’y a que des hommes », explique- t-il. L’ouverture du salon de thé est un succès. La qualité des gâteaux y est évidemment pour beaucoup : la farine vient de chez le meilleur moulin de France, le chocolat est belge, les produits 100 % au beurre. Sofiane, le pâtissier, a travaillé chez Stohrer, la plus ancienne pâtisserie de France, et Saïd, le tourier, celui qui prépare les viennoiseries, a été formé par un Meilleur Ouvrier de France. L’accueil bienveillant, la complicité avec les client-e-s, est une règle. Pour Mehdi, « si les clients entrent énervés, il faut qu’ils repartent avec le sourire. Bonjour, au revoir, merci : l’éducation, ce n’est pas la question d’être gentil, c’est comme respirer, c’est vital. »
Autre règle, la solidarité. Depuis le début de la crise sanitaire, six stagiaires ont été recrutés, tous de La Courneuve. Les bénévoles des maraudes savent qu’on leur donnera toujours du pain et des croissants pour les sans-abri. Le Covid a beaucoup frappé dans le quartier, alors, forcément, quand un client ou une cliente qui passe deux à trois fois par jour ne vient pas chercher sa baguette, tout le monde s’inquiète, demande des nouvelles, fait passer des messages de réconfort.
Des élu-e-s d’autres collectivités ont appelé Mehdi pour qu’il monte un projet équivalent dans leur ville. Ça ne l’intéresse pas. Et puis, son temps est précieux : quand il n’est pas à la boulangerie, on le trouve dans l’une des trois résidences qu’il gère pour Espacil, un gros bailleur social où il suit avec attention la situation des étudiant-e-s. « Un jour, une étudiante m’a dit qu’elle ne travaillait plus, qu’elle payait son loyer avec l’argent que ses parents lui envoyaient, qu’elle se débrouillait pour le reste, se souvient-il. Dans son frigo, il y avait une pomme, une brique de lait, du pain de mie. J’ai contacté des associations, Mamadou, qui travaille à l’antenne jeunesse de Saint-Denis. Maintenant, tous les jeudis, les étudiants dans le besoin récupèrent un colis alimentaire. » Mehdi, l’homme qui entreprend, n’en continue pas moins de nourrir des rêves. Dans l’un d’eux, un jour, ce ne sont pas les Courneuvien-ne-s qui iront à Paris, mais les Parisien-ne-s qui diront : « Tu veux savoir où on va ? On va à La Courneuve ! »
Texte : Joëlle Cuvilliez ; photo : Léa Desjours