La Ville s’est engagée dans une politique linguistique ambitieuse pour permettre au plus grand nombre de ses habitant-e-s d’apprendre le français. Une condition indispensable de l’égalité républicaine et du vivre-ensemble.
La maîtrise de la langue n’est pas seulement nécessaire pour s’insérer professionnellement et acquérir une certaine autonomie financière, elle permet aussi d’accéder à ses droits et à sa citoyenneté, de suivre la scolarité de ses enfants, de s’ouvrir aux autres et aux autres cultures… Pour une terre d’accueil et de combat comme La Courneuve, qui comptait 38 % de personnes étrangères et 44 % de personnes immigrées en 2017*, et qui lutte contre toutes les formes de discrimination, améliorer l’apprentissage du français est donc une priorité. Parmi les dix-huit exigences énoncées dans l’Atlas des inégalités territoriales figure ainsi la création d’un « service public d’éducation à la langue française à destination des adultes ».
« La maîtrise d’une langue permet d’accéder à ses droits ou de suivre la scolarité de ses enfants. »
Depuis 2019, la municipalité a notamment entrepris de développer et de coordonner les actions linguistiques sur son territoire, sur ses fonds propres et grâce au soutien financier de la région Île-de-France (via le Fonds social européen) et de la préfecture de la Seine-Saint-Denis (via le contrat de ville). L’enjeu ? Pallier, autant que possible, les insuffisances des dispositifs de formation de droit commun.
Dans l’Hexagone, l’offre de cours de français est organisée et financée en fonction des publics concernés : étranger-ère-s non européens admis au séjour ayant signé le « contrat d’intégration républicaine », chercheur-euse-s d’emploi, bénéficiaires du RSA, salarié-e-s ou intérimaires, jeunes de 16 à 25 ans et parents d’élèves (à travers le programme de l’Éducation nationale « Ouvrir l’école aux parents pour la réussite des enfants »). Mais ces dispositifs ne permettent pas de couvrir tous les besoins, à cause du manque de moyens financiers et humains et de leur logique d’entrée par statut, très contraignante. Certaines personnes ne remplissent pas les critères d’éligibilité, en particulier celles en situation irrégulière ou en cours de régularisation. Rien à voir dans les ateliers linguistiques proposés via le contrat de ville par plusieurs associations courneuviennes et par la Ville, où les demandeur-euse-s de cours de français bénéficient d’un accueil inconditionnel, peu importent leur nationalité, leur situation administrative ou leur objectif. C’est cette offre municipale qui gagne et va gagner en ampleur et en ambition dans le cadre du projet de développement et de coordination des actions linguistiques. Nouveaux locaux, nouveaux formateurs et nouveaux groupes : pour la coordination linguistique créée en 2019, il s’agit de répondre à un maximum de demandes en partenariat avec le réseau associatif local. Il s’agit aussi d’assurer une présence dans tous les quartiers, en mettant en place une préparation au Diplôme initial de langue française (DILF) et au Diplôme d’études en langue française (DELF), et en proposant un cours pour les seniors à la Maison Marcel-Paul. Des cours du soir sont également organisés pour les apprenant-e-s qui travaillent. En plus des ateliers d’expression en langue française par niveau (« alphabétisation », « grands débutant-e-s », « débutant-e-s », « faux débutant-e-s » et « intermédiaires »), la Ville a lancé à la Maison pour tous Youri-Gagarine un atelier axé sur la parentalité et la scolarité, pour aider les parents allophones à accompagner leurs enfants dans leurs études, et un atelier de conversation, pour permettre aux apprenant-e-s sortis des groupes par niveau de continuer à communiquer en français.
Valoriser la diversité et le multilinguisme
Même si c’est la Permanence d’accueil et d’orientation des demandeurs de cours de français (Padoc) de Plaine Commune qui reçoit les publics, évalue leur niveau et les dirige vers le dispositif adapté, il s’agit aussi pour la coordination linguistique de faciliter les parcours des apprenant-e-s. Elle s’emploie, par exemple, à favoriser les liens entre les différents acteur-trice-s linguistiques, à développer les compétences des formateur-rice-s salariés et bénévoles et à lever les freins à la formation, comme le problème de la garde et de l’accueil des enfants. L’ouverture de places prioritaires dans les haltes-jeux est ainsi envisagée. À travers une cérémonie de mise à l’honneur, en présence du maire Gilles Poux, et la réalisation d’un ouvrage thématique annuel, la Ville compte en outre valoriser les apprenant-e-s dans leur démarche d’acquisition du français. Un apprentissage qui accorde une place importante au partage de leur langue maternelle, de leur culture, de leurs traditions. Pour une terre d’accueil et de combat comme La Courneuve, valoriser la diversité et le multilinguisme est une priorité.
*Source Insee, Recensement de la population 2017
Portraits de deux apprenantes de français de la Maison pour tous Youri-Gagarine, Januka et Fatima, dans les locaux de la MPT, le 15 janvier 2021.
Témoignage de Januka
« Je viens du Népal, je suis arrivée en France, à La Courneuve, il y a presque cinq ans. Je parle le népalais et l’anglais. Le français, c’est très important, pour communiquer, pour travailler, pour aller chez le médecin quand tu es malade, pour expliquer des choses, pour vivre normalement, pour tout… mais la prononciation, c’est un peu difficile pour moi. Je suis motivée, je veux progresser et c’est facile de faire les cours avec Carole et Nicolas, ils sont très gentils. »
Témoignage de Fatima
« Je suis marocaine, je suis arrivée ici le 5 septembre 2016. J’ai voulu apprendre la langue française parce que j’en ai besoin tout le temps, pour aller à la mairie, à La Poste, pour prendre rendez-vous à l’hôpital. Avant, je devais demander à ma sœur de le faire, maintenant je le fais toute seule ! Et je peux aller aux réunions de l’école de mon fils. Il est en maternelle. C’est une amie qui m’a parlé de la Maison pour tous quand je cherchais des associations et des écoles qui donnaient des cours de français. J’ai passé le diplôme A1 et je vais passer le A2. J’aimerais aussi apprendre l’anglais, parce que c’est une langue internationale. »
Des formateurs et formatrices au grand cœur
Ce sont des enseignant-e-s pas comme les autres. « Au début, certains apprenants m’appelaient “maîtresse”, mais je leur ai dit que je n’étais pas une maîtresse ! » s’amuse Nathalie, formatrice de français à la Maison pour tous (MPT) Cesária-Évora. Comme Lobna, à la Maison Marcel- Paul, Carole, à la MPT Youri-Gagarine et Nicolas, à la MPT Youri-Gagarine et dans le local de l’association de la Croix Blanche, Nathalie fait cours deux fois par semaine à des adultes qui ne maîtrisent pas ou peu la langue française et qui, parfois, n’ont pas les codes de l’école. « Pas mal d’entre eux n’ont pas été scolarisés ou peu dans leur pays d’origine, précise Lobna. Ça change notre posture en tant que formateur, c’est important pour nous d’accueillir les apprenants dans leur diversité. » Les formateur-trice-s veillent ainsi à adapter leur approche et leurs supports pédagogiques au niveau des publics, évalué en fonction du Cadre européen commun de référence pour les langues (CECRL), mais aussi à leurs motivations, qu’ils cherchent à mener à bien un projet d’insertion professionnelle, à s’autonomiser, à suivre la scolarité de leurs enfants… Sans jamais les infantiliser, les brusquer ni les « fliquer ». « L’assiduité est importante, mais les apprenants ont parfois des obligations, des problèmes dans leur vie quotidienne qu’on doit prendre en compte », glisse Nathalie. Et même si le français doit rester la langue commune pendant les cours, la langue maternelle des apprenant-e-s et leur culture d’origine sont considérées comme une richesse. « On parle de leurs recettes, de leur histoire et de leurs traditions, on apprend aussi beaucoup d’eux », note Carole. Comme tous les enseignant-e-s, les formateur-trice-s de français ont dû réinventer leurs pratiques avec la crise sanitaire, en passant par le téléphone, les mails et des applications comme WhatsApp ou Skype pour assurer la continuité des cours à distance et pour entretenir le lien avec leurs élèves. « On prend des nouvelles et on les oriente quand ils sont en difficulté », indique Carole, qui propose aussi ses services à la permanence d’aide administrative de la MPT Youri-Gagarine. C’est que leur mission est au carrefour de l’enseignement et de l’action sociale. Rédaction de courriers, constitution de dossiers… elles et ils n’hésitent pas à accompagner les apprenant-e-s dans leurs démarches. « On a aidé beaucoup de personnes à s’inscrire aux Restos du cœur pendant les confinements et à accéder à d’autres distributions alimentaires lorsque l’association a fermé juste avant les vacances de Noël, explique Nicolas. On ne peut pas se cantonner au volet linguistique quand on peut dénouer une situation en un coup de fil. »
Textes : Olivia Moulin ; photos : Léa Desjours