Depuis 2011, le cœur de Giustina Di Ielsi bat pour celui des Restos. « Je me sens vieillir », confie-t-elle à une amie, à l’heure de la retraite. « Normal, lui répond-t-elle, tu n’as plus de contraintes ! » Le lendemain, elle rallie l’association de Coluche, « pour rendre service ».
« Giustina ? C’est le cœur. Elle m’a appris à faire plus, à faire mieux. Elle m’a appris la solidarité. C’est une femme qui donne envie de se battre, d’aider. Si demain elle m’appelle, je serai la première sur place. » Bénévole des Restos du cœur depuis un an, Sandra fut un temps une bénéficiaire, croisant ici même la route de notre septuagénaire. Parfois, l’engagement d’une seule réussit à réveiller chez d’autres les petites humanités endormies.
Dans une minuscule pièce, à l’abri du tumulte, Giustina nous reçoit. L’allure est discrète, la voix presque frêle. Sur son bureau, la paperasse s’est accumulée : « Je dois la mettre à jour », dit-elle, désignant du doigt les documents. Pour l’instant son esprit est ailleurs. La mise en place de la distribution se termine, le centre s’apprête à ouvrir, c’est l’effervescence. Même porte fermée, notre retraitée ne perd rien de l’activité des bénévoles : « S’il y a quelque chose que vous ne comprenez pas, n’hésitez pas à me demander », leur répète-t-elle souvent.
« Les collègues me disaient souvent : on te verrait bien dans le domaine du social... »
Giustina est responsable du centre des Restos du cœur de La Courneuve depuis 2017. Habitante de Stains, c’est d’abord au sein de sa commune qu’elle s’engage dans l’asso-ciation, en assurant les distributions. Elle suivra même une formation de correspondante centre, chargée d’analyser le fonctionnement des différents centres locaux pour la structure départementale des Restos. Finalement, Giustina n’a pas exercé la fonction, mais reste investie. « J’avais rejoint le centre de La Courneuve pour dépanner et depuis, j’y suis. » Levée aux aurores, avec à l’esprit les missions de la journée, notre retraitée est un peu chez elle, au 33, rue Beaufils. Elle y vient quatre jours par semaine. « Les trois quarts des personnes accueillies ici se rendent aussi auprès d’autres associations humanitaires : Emmaüs, Secours populaire... car une seule source reste insuffisante. Les Restos assurent le don alimentaire, ce qui peut permettre aux bénéficiaires de payer leurs factures. »
Préparation des menus (tenant compte de la composition familiale), accueil des personnes, inscriptions, gestion de la réserve alimentaire... les tâches ne manquent pas au centre. Giustina les mène avec une équipe bénévole dont elle aimerait que l’on brosse aussi le portrait. Son sens du collectif. Quand la distribution est assurée avec des effectifs suffisants, Giustina s’échappe pour mettre le nez dans l’administratif. Être utile. « Ma priorité, c’est de rendre service. Un héritage de mes parents, je suppose. Je les ai toujours vus aider les autres. » Originaire du sud de l’Italie, Giustina a 4 ans quand elle quitte Guardalfiera, ville nichée dans la montagne des Appenins, pour rejoindre avec sa maman et son petit frère un papa établi près de Valenciennes. Deux heures de route seulement séparent Guardalfiera de Casalvieri, terre natale d’un autre immigré italien, Honorio Colucchi, peintre en bâtiment, père de Coluche. L’humoriste qui, en 1985, filait un rencard aux plus fragiles a fait vibrer une corde chez Giustina Di Ielsi. « J’ai aimé son geste et puis Les Restos ont besoin de bénévoles. Au-delà de l’aide alimentaire, on tente de détecter les besoins des gens pour accompagner leur insertion sociale. » Si Giustina n’a pas vécu la grande précarité, un divorce a fragilisé sa condition dans le passé : « À l’époque, je calculais au centime près. Mais on me dit bonne gestionnaire. Je mets toujours un point d’honneur à bien maîtriser la gestion. »
Dans une autre vie, elle fut employée de banque, chargée entre autres des moyens de paiement à l’international : « Les collègues me disaient souvent : on te verrait bien dans le domaine du social... Je me suis toujours élevée contre l’injustice, les jugements moraux, les a priori. C’est peut-être pour cela ! »
À 73 ans, Giustina songe à lever un peu le pied, histoire de reprendre ses crayons et pinceaux, de s’envoler pour l’Argentine où vivent des membres de sa famille qu’elle ne connaît pas. Gageons que, une fois la pandémie dissipée, de nouveaux horizons s’ouvriront à elle.
Texte : Mariam Diop ; photos : Meyer