Aya Cissoko - « On a le droit d’avoir de l’ambition »

Publiée le 12 mai 2021

Aya Cissoko - « On a le droit d’avoir de l’ambition »

Aya Cissoko

Ancienne boxeuse de très haut niveau, aujourd'hui conférencière, écrivaine, comédienne et metteuse en scène, Aya Cissoko, a raccroché les gants mais livre d’autres combats, contre le racisme, contre les discriminations, contre l’hypocrisie. Des combats qui résonnent avec ceux de la Ville et des jeunes Courneuvien-ne-s engagés dans le projet « Les Médias c’est nous », auprès desquels elle vient d’animer une master class.

Son truc, c’est de transmettre. Depuis qu’elle a pris conscience de la complexité de son parcours et des inégalités qu’elle a subies en tant que « femme, noire et pauvre », Aya Cissoko part à la rencontre de jeunes des quartiers populaires de Paris et de sa banlieue, pour leur apporter un message de lucidité et d’espoir. « Je ne suis pas là pour leur dire que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, ils savent bien qu’ils ne sont pas traités comme les autres, mais pour leur dire qu’on n’a pas d’autre choix que de s’accrocher, de faire les choses et d’avancer. Et on n’est pas seuls : il y a des rencontres qui changent notre destin. »

« Le sport m’a permis de ne pas m’abîmer moi-même et m’a fait comprendre que j’étais forte et endurante. »

Née à Paris en 1978, fille de parents maliens, Aya Cissoko vit une enfance secouée d’épreuves : le mal-logement, l’incendie criminel qui a coûté la vie à son père et à sa sœur en 1986 mais que la justice a longtemps refusé de reconnaître comme tel, le décès de l’un de ses frères un an après à la suite d’une méningite mal diagnostiquée… « Les institutions n’ont pas fait de cadeau à ma famille, insiste-t-elle. On s’est pris les inégalités de plein fouet, mais on n’avait pas le temps de se questionner à l’époque, on répondait à l’urgence. » Pour tenir, la petite fille lit, « beaucoup », et se met à faire de la boxe française. « Le sport m’a permis de ne pas m’abîmer moi-même et m’a fait comprendre que j’étais forte et endurante. » Elle arrive ainsi à mener de front les entraînements, les compétitions et ses études puis son métier de comptable au pôle Sport des magasins Printemps.

Championne de France benjamins, championne de France et championne du monde dans la catégorie des moins de 66 kilos, Aya Cissoko enchaîne les titres mais décide, en 2005, de se frotter à la boxe anglaise. « Quand je suis arrivée au club, l’entraîneur a eu pour première réaction de dire : “Moi, j’entraîne pas les gonzesses !” Mais il a vite changé d’avis. C’était quelqu’un d’extraordinaire, qui a participé à ma prise de conscience sur la lutte des classes et sur la nécessité de s’inscrire dans le local et de ne pas oublier d’où l’on vient. » Un discours semblable à celui de sa mère, qui revendiquait son histoire, son appartenance à une lignée de guerriers du Mali. « Elle nous a élevés dans la culture malienne, elle nous parlait seulement en bambara, raconte-t-elle. Et elle nous disait que rien ne nous serait donné en France, qu’il ne faudrait compter que sur nous-mêmes. Elle nous a appris à lutter finalement. »

« J’apprends sans cesse, sourit-elle. C’est pour ça que je conseille aux jeunes d’être curieux »

Après son sacre comme championne du monde de boxe anglaise en 2006, Aya Cissoko doit arrêter sa carrière sportive à cause d’une blessure. « C’est pendant les périodes de trêve comme celle-ci que j’ai commencé à regarder en face la réalité des difficultés de ma mère et des miennes. Quel soulagement de comprendre qu’on n’est pas responsable de tout ! » Grâce aux rencontres, elle reprend ses études à Sciences Po, écrit un livre sur l’histoire de sa famille, joue dans une pièce de théâtre… « J’apprends sans cesse, sourit-elle. C’est pour ça que je conseille aux jeunes d’être curieux, de sortir de l’environnement que la société leur assigne, de prendre des risques. On a le droit d’avoir de l’ambition. »

Pour lutter contre le racisme et les discriminations, Aya Cissoko investit la politique, mais à sa façon. « À un moment, j’ai été récupérée par certaines organisations, qui sont dans la pérennisation du statu quo. Je me suis rapidement rendu compte que ce n’était pas mon propos qui les intéressait, mais mon parcours : j’étais la personnification du “Quand on veut, on peut”. J’ai pris mes distances. » Alors elle se bat sur le terrain, en témoignant de son expérience, en dénonçant les injustices et les inégalités, en travaillant aux côtés des acteurs associatifs, avec l’objectif de « créer une utopie inclusive » où chacun-e aurait sa place.

Texte : Olivia Moulin ; photo : Léa Desjours