Les jeunes subissent fortement les conséquences de la crise du Covid-19. Pour les étudiant-e-s, les conditions d’études se sont dégradées. Sur le marché de l’emploi, la précarité dont ils-elles étaient déjà victimes est redoublée. Le moral est en berne.
Les sondages qui se sont récemment multipliés le montrent tous : les jeunes sont particulièrement affectés par la crise sanitaire et ses diverses répercussions sociales. Les étudiant-e-s subissent la fermeture des établissements d’enseignement supérieur, les cours ayant basculé vers des conférences à distance. D’où une scolarité très solitaire pas facile à vivre à domicile, surtout dans un contexte familial pas toujours favorable. S’y ajoutent l’annulation de nombreux stages, mais aussi la difficulté de trouver des « petits boulots » en raison d’une situation économique compliquée.
Résignation ou révolte
Cumulant ces contraintes, ils-elles se sont moins bien préparés aux partiels de milieu d’année dont la plupart doivent se tenir bientôt. La crainte de l’échec scolaire renforce alors une inquiétude déjà grande face à un avenir
où le chômage de masse se généralise et où il est par conséquent difficile de se projeter. C’est alors tout l’équilibre personnel qui en pâtit, surtout quand les difficultés pécuniaires se surajoutent aux difficultés scolaires. Sans surprise, une enquête de l’Observatoire de la vie étudiante (OVE) a révélé que 46 % des jeunes qui rencontrent des problèmes matériels sont en détresse psychologique, contre 24 % des étudiant-e-s n’ayant pas de problèmes d’argent. Face à ce désarroi, certes la solidarité s’organise au sein des facultés : parrainage d’étudiant- e-s, entraide virtuelle, mutualisation des cours… Mais cela ne suffit pas à rassurer des jeunes désorientés. Quant aux nouveaux diplômé-e-s qui entrent sur le marché du travail (on en compte environ 700 000 dans l’Hexagone), décrocher une activité professionnelle est une gageure du fait de la récession que connaît l’ensemble du pays. Pour celles et ceux qui avaient déjà un travail au moment du déclenchement de l’épidémie, la précarité de l’emploi les affecte particulièrement. Selon l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), les postes détruits en particulier lors du premier confinement étaient pour plus de la moitié des contrats à durée déterminée et des contrats d’intérim, postes où les jeunes sont surreprésentés. En effet, selon Eurostat, 54,9 % des jeunes de moins de 25 ans étaient en 2019 en contrat temporaire contre 13 % des 25 à 49 ans. Par ailleurs, dans la situation de ralentissement économique que la France traverse, les entreprises préfèrent se séparer des employé-e-s récemment embauchés et donc plutôt des jeunes. Or, un premier emploi conditionne toute la suite de la carrière professionnelle et le niveau de revenus à long terme. Subissant cette injustice, les jeunes développent en retour une grande sensibilité aux inégalités sociales, mais aussi au racisme, en particulier dans des quartiers populaires qui cumulent les handicaps. Résignation ou révolte : l’avenir dira quelle sera la réaction de la jeunesse.
Texte : Nicolas Liébault ; photos : Olivier Culmann / Tendance floue et Léa Desjours
Les jeunes face au confinement
Soumeya Meliani et Sara Kaci, 19 ans et 18 ans, sont deux jeunes Courneuviennes, l’une en licence d’AES à la Sorbonne, l’autre en Sciences physiques à Villetaneuse, et impliquées au sein du Conseil local de la jeunesse. Toutes deux nous confient que le deuxième confinement est « plus compliqué » que le premier. Soumeya constate ainsi que « la charge de travail est deux fois plus importante qu’avant ». Pour Sara, c’est le travail à la maison qui est rendu difficile : « Dès 8h30 du matin, je me réveille pour travailler mais mes sœurs demandent d’éteindre et je dois passer dans le salon… sauf qu’il y a mes parents ! » Toutes deux constatent que « seule une minorité d’entre nous ne les respectons pas, les jeunes ayant globalement conscience des gens fragiles autour d’eux ». À un sondage récent selon lequel 69 % des plus de 65 ans pensent que ce sont les jeunes qui propagent l’épidémie, elles réagissent différemment. Si Sara n’est « pas trop d’accord », Soumeya dit comprendre car « par exemple, à la fac de Tolbiac, tout le monde est entassé dans les ascenseurs et les amphis ». Si la bibliothèque universitaire est ce qui manque le plus à Sara, Soumeya regrette surtout « les réunions de famille, car on se réunissait souvent avec les cousins, avec aussi beaucoup de sorties culturelles comme le cinéma ». Heureusement, ses parents ne connaissent pas de difficulté financière particulière. De même, le père de Sara, chef sécurité, et sa mère, poissonnière à Carrefour, exercent des « métiers nécessaires ». « Mais notre entrée dans la vie d’adulte est catastrophique », conclut-elle, se considérant « appartenir à une génération sacrifiée ».
Ismael El Bahja, secouriste bénévole et élève maître-nageur de 29 ans, vit le confinement « pas difficilement », car il a, selon lui, la chance d’être en formation via le télétravail. « L’associatif me permet d’intervenir pour porter du secours », ajoute-t-il. Comme Courneuvien habitant au mail de Fontenay, il a pu se rendre au parc Georges-Valbon et, quand il fait ses courses, « il y a moins de queue dans les hypermarchés ». Simplement, il respecte les gestes barrières, notamment parce que son père souffre d’une maladie grave et peut être touché. Les jeunes, une génération sacrifiée ? Selon lui, « on mange, on a un toit, on a la télévision et des gens vivent pire que nous ». Mais il concède que le sport lui manque, de même que les librairies. Il regrette aussi les réunions de famille où « tout le monde mangeait dans la même assiette alors que maintenant on a chacun son verre, son assiette et son couteau ». Autre souci : il a quitté son emploi sur la promesse d’une formation prise en charge… ce qui ne s’est pas vérifié, si bien qu’il a dû demander l’APL et le RSA. Comme bénévole, il admire ses collègues qui sont « prêts à mettre leur vie en danger pour venir en aide à d’autres personnes ». Il ajoute : « Moi-même, j’ai opéré pendant deux mois auprès des cas de Covid, deux mois où je commençais à 8h et finissais à minuit, deux mois où je ne pouvais pas embrasser ma mère », tout en priant de ne pas apporter le virus à la maison. Il regrette donc un peu « à côté de cela, que des gens râlent parce qu’ils portent un masque ». Un décalage qu’il constate, mais « sans juger pour autant ».
Prama Begum, 25 ans
Elle avait reçu son diplôme à l’hôtel de ville des mains de Najet Vallaud Belkacem. Ministre de l’Education nationale. Meilleure bachelière (mention bien), c’était en 2015. Depuis trois ans, l’ex lycéenne d’Arthur Rimbaud BTS tourisme en poche, assure l’accueil à la réception d’un hôtel situé terminal 2, aéroport Charles De Gaulle. « Quand le premier confinement est tombé en mars, j’ai d’abord été rassurée. L’aéroport est un fort lieu de passage, le personnel est très exposé. Puis mes parents ont une santé fragile. L’hôtel a fermé le 19 mars et n’a pas rouvert. Depuis je reste chez moi, je suis en chômage partiel, j’ai perdu la moitié de ma paie. Heureusement je vis avec ma famille, mes trois sœurs et mes parents. Aujourd’hui j’ai peur. Mes projets professionnels sont repoussés, peut-être même compromis ». La jeune femme projetait en effet une formation interne en vue d’un poste de commercial dans l’évènementiel. « J’apprécie le contact avec les clients ». Pour Prama, jeune salariée, c’est l’incertitude : « il n’y a plus de salons, des postes ont été supprimés…J’ai 25 ans et je ne sais pas ce que deviendront mes projets professionnels, de vie, comme fonder une famille. Prama Begum souhaite une chose dorénavant, la stabilité.
Propos recueillis par Mariam Diop
Ryan Johnson
Étudiant en première année DN MADE Espace, spécialité habitat et territoires d’innovation sociale à l’École Boulle
« Cette première année d’étude supérieure est vraiment particulière. Notre programme d’enseignement est perturbé, pour nous les musées sont des lieux de travail et ils sont tous fermés. Bien sûr, on visite virtuellement des expositions mais dernière un écran, ce n’est pas pareil. Comment pouvoir étudier l’espace quand on doit rester à la maison ? En première année, on a besoin de l’expérience et des conseils de ceux qui ont déjà passé ce cap. Cette année, la distanciation ne permet pas ces rencontres. Les bibliothèques restent fermées et pour certains étudiants, impossible de travailler à la maison, d’avoir l’équipement informatique adapté. Financièrement, les étudiants boursiers subissent les retards de paiement des bourses, ont du mal à payer leur loyer et l’absence de petits boulots n’arrange rien. C’est difficile de joindre les deux bouts, d’acheter le matériel demandé par nos professeurs. Mon autre inquiétude concerne les stages obligatoires. Là encore, comment faire pour trouver un stage quand les équipes sont en télétravail. Comme beaucoup de mes camarades, je suis stressé, angoissé et je vis mal ce deuxième confinement. »
Propos recueillis par Pascale Fournier