Une exigence de vérité toujours d’actualité

Publiée le 19 oct. 2020

Une exigence de vérité toujours d’actualité

commémoration 17 octobre 1961

Le 17 octobre 1961, une foule immense d’Algérien-ne-s manifestaient pacifiquement à Paris contre le couvre-feu qui venait de leur être imposé. La répression fut terrible. La municipalité a commémoré ce tragique 59e anniversaire et rendu hommage aux victimes.

"Octobre 1961. Quelques mois avant l’accession à l’indépendance de l’Algérie, tandis que des négociations sont engagées entre l’État français et le Front de libération nationale (FLN) algérien, la situation se tend en métropole : attentats du FLN, rafles et perquisitions au domicile d’Algérien-ne-s se multiplient. Dans ce contexte explosif, Maurice Papon, alors Préfet de police de Paris, ordonne le 5 octobre l’instauration d’un couvre-feu, discriminatoire puisqu’il ne concerne que « les Français musulmans d’Algérie ». « On sait que Papon s’est réuni le 5 octobre avec Michel Debré, alors Premier ministre, Pierre Messmer, ministre des Armées, et Roger Frey, ministre de l’Intérieur, et donc forcément avec l’accord du chef de l’État, Charles de Gaulle. C’est une affaire d'État," explique Alain Ruscio, historien spécialiste de la colonisation. Le FLN riposte en organisant une manifestation le 17 octobre au soir. Des dizaines de milliers d'hommes de femmes et d’enfants algériens répondent à cet appel et convergent vers les Grands Boulevards parisiens.

« Cette initiative n’est pas déclarée aux autorités mais elle se veut cependant pacifique, commente Bacar Soilihi, conseiller délégué à la Mémoire commémorative et aux ancien-ne-s com-battant-e-s. Le FLN y voit un moyen d’affirmer sa représentativité. Il interdit le port d’armes pendant le défilé. Celui-ci donne lieu à des affrontements au cours desquels les policiers font feu. La répression s’est poursuivie après le 17 octobre, dans les camps d’internement, elle a fait plusieurs centaines de blessés et de disparus, et un nombre de morts qui reste encore aujourd'hui discuté."

Une censure féroce

La presse, à quelques plumes près, ne parlera pas de la répression de la manifestation. Pas d’information, pas de commémoration : cet épisode sanglant de l’histoire du pays sombre dans l’oubli. Ce n’est qu’après la Marche pour l’égalité et contre le racisme de 1983, conduite par les enfants des victimes, que le voile commence à se lever. Des ouvrages, des films sortent, qui interrogent, dénoncent. En 2003, le Collectif du 17 octobre 1961, créé à l’initiative de la Ville de La Courneuve, avec la participation d’associations locales et de Courneuvien-ne-s, dresse un bilan sans appel dans un livret intitulé Une journée pour mémoire, à destination des jeunes : il fait état de trois morts avoués, quarante morts constatés, 200 morts présumés et 14 000 manifestants arrêtés. Il faudra attendre 2012 pour que le chef de l’État, François Hollande, déclare : « La République reconnaît avec lucidité ces faits. » Mais si un président de la République a rendu hommage à la mémoire des victimes, aucun à ce jour n’a reconnu expressément la responsabilité de l’État dans le massacre. « C’est une reconnaissance à demi-mot », traduit Samir Yahyaoui, qui a repris à La Courneuve la présidence de l’association Souvenir du 17 octobre 1961 à la suite de Mohand Arab Baziz. Ce dernier a été détenu dans un camp pour avoir été en première ligne dans la guerre d’indépendance de ce qui deviendra un pays, l’Algérie.

Texte : Joëlle Cuvilliez ; photos : Léa Desjours

 

Femme de droit et de justice

Djamila Amrane

Djamila Amrane, présidente d’honneur de l’association courneuvienne Africa qu’elle a cofondée en 1987, était présente à la manifestation du 17 octobre 1961. Elle témoigne pour Regards.

"Mon père est venu d’Algérie en France pendant la guerre de 14-18, il avait été réquisitionné. Après l’armistice, il y est resté.
Je suis née en 1934, à Saint-Denis. J’ai obtenu le certificat d’études et le brevet élémentaire et, à l’occasion d’un séjour en Algérie, j’ai été choquée de voir à quel point les Algériens, et surtout les Algériennes, étaient maintenus dans l’ignorance. C’est ce qui m’a finalement poussée à faire partie de ce mouvement pour l’indépendance, le FLN. Ce jour-là, le 17 octobre 1961, le FLN a donné l’ordre de participer à une manifestation pacifique contre le couvre-feu imposé par Maurice Papon. Les Algériens n’avaient plus le droit de sortir, mais c’était compliqué car ils étaient nombreux à travailler tard le soir ; les femmes n’osaient plus envoyer leurs enfants faire du sport.

C’était vraiment une marche pacifique

Pour la manifestation, nous n’avions pas le droit de porter quoi que ce soit qui pouvait être pris pour une arme, pas même une épingle à nourrice. On m’a demandé de monter un groupe de femmes, ce que j’ai fait, et toutes ensemble, nous sommes allées à Paris. J’avais pris avec moi mon petit garçon, qui est maintenant un grand monsieur ; il avait quelques semaines à l’époque, puisqu’il est né en juillet 1961. La foule était immense. C’était vraiment une marche pacifique, on a dit que certains manifestants avaient des armes, mais ce n’est pas vrai. À Bonne-Nouvelle, la police courait dans tous les sens. Les agents tapaient sur les hommes, sur les femmes, à coups de bâton. Ils demandaient aux manifestants s’ils savaient nager puis ils les frappaient et les jetaient dans la Seine. Je dois la vie à une dame qui m’a attrapée par le bras et qui m’a fait rentrer dans son immeuble. Elle m’a grondée en me disant : « Une jeune fille comme vous, qu’est-ce que vous faites là-dedans ? »

J’ai perdu un cousin dans cette manifestation. Je suis fille unique et il était comme un frère pour moi. J’ai longtemps fait des recherches, mais on ne l’a jamais retrouvé. Quand l’Algérie est devenue indépendante, j’y suis allée pour enseigner pendant une dizaine d’années. J’avais manifesté pour le droit à l’indépendance algérienne en France ; en Algérie, j’ai manifesté pour la reconnaissance des droits des kabyles. À mon retour en France, après la création de l’association Africa, nous avons continué le combat pour que le 17 octobre 1961 sorte de l’oubli en organisant des marches commémoratives, les premières le long du canal d’Aubervilliers. La Courneuve nous a entendus. »

Propos recueillis par Joëlle Cuvilliez