Mustapha Boutadjine est un artiste engagé. À partir d’une photographie, souvent, ou d’un tableau, parfois, il recompose des portraits mosaïques de célébrités ayant marqué l’histoire de l’humanité.
Mais c’est aussi un «prestidi-agitateur» d’idées révolutionnaires capable, en agençant savamment des milliers de petits morceaux de papier, de traduire l’émotion affleurant dans la tristesse d’un visage, la force de conviction dans un sourire, l’intelligence dans un regard. L’exposition « Black is toujours beautiful » qu’il propose aux Courneuvien-ne-s rend non seulement hommage aux militant-e-s des droits civiques afro-américains, mais aussi à celles et ceux que le combat contre l’injustice a mis en mouvement, pour qui la négritude était source de fierté et de création. Elle se tient depuis le 17 septembre à la Maison de la citoyenneté James-Marson, a fait l’objet de discussions avec les associations locales et le Conseil communal des enfants. Elle proposera un « vernissage-décrochage » le 16 octobre, à 18h30, en présence de l’artiste. Une occasion unique de rencontrer celui qui met en lumière la puissance d’Angela Davis, de Cesária Évora, Bob Marley, James Baldwin, Louis Armstrong, Mohamed Ali, Toussaint Louverture, Mumia Abu-Jamal, et tant d’autres...
Texte : Joëlle Cuvilliez ; photos : Léa Desjours
Mustapha Boutadjine
Mustapha Boutadjine a su transformer sa colère en révolte artistique. Sortir l’a rencontré dans son atelier-galerie Artbribus où son message mémoriel et politique s’expose dans une impressionnante collection de portraits.
SORTIR : Quel votre parcours ?
Mustapha Boutadjine : Je suis né à Alger dans un quartier populaire. Major de ma promo, j’ai obtenu une bourse qui m’a permis d’entrer à l’École nationale des Beaux-Arts. J’ai ensuite été reçu aux Arts déco de Paris. Je suis devenu designer et j’ai participé à ce titre à la réalisation du kiosque à journaux parisien, du métro d’Alger, des voitures du train Corail. Parallèlement, je réalisais des affiches comme graphiste. Un jour, j’ai décidé de ne plus faire que des collages, non pas pour vivre, mais pour exprimer ma révolte ; je ne travaille d’ailleurs jamais sur commande. Par la suite, je suis retourné en Algérie pour enseigner comme chef du département de design aux Beaux-Arts et à l’École polytechnique d’architecture et d’urbanisme.
S. : Vous travaillez toujours par thèmes ?
M. B. : Oui. J’ai réalisé « America basta », les insurgés, les Gitans, les femmes algériennes, les poètes... Ma prochaine galerie de portraits sera consacrée aux Indiens, de la pampa jusqu’à l’Alaska, une manière toute personnelle de régler mes comptes avec l’Amérique. Au cœur de chacune de mes séries, il y a forcément une personnalité inconnue, qui représente le peuple. Pour « Black is toujours beautiful », il s’agit d’un gnaoui, un troubadour qui joue de la musique traditionnelle.
S. : Comment procédez-vous pour réaliser vos collages ?
M. B. : Je récupère des magazines en papier glacé dans les rédactions, les copains me mettent de côté les invendus. Je n’utilise jamais les ciseaux, tout est déchiré ; la déchirure a un effet esthétique. C’est aussi l’expression de ma colère. Je ne déchire pas le papier par avance, tout se fait sur le moment pour que la feuille conserve sa fraîcheur. J’aime l’idée d’arracher des morceaux de magazines de luxe pour donner vie à des portraits d’hommes et de femmes révolutionnaires ! Je peux travailler sur plusieurs tableaux en même temps et il me faut un mois à un mois et demi pour réaliser une œuvre. Un jour où j’exposais, quelqu’un m’a dit : « Qu’est-ce qui prouve que c’est vous qui avez fait tout ça ? » Depuis cette pique, je glisse toujours une petite photo de moi dans le tableau...
Propos recueillis par Joëlle Cuvilliez