Au quartier Verlaine, les habitants prennent le micro

Publiée le 10 févr. 2020

Au quartier Verlaine, les habitants prennent le micro

Projet Radio Evora

La Maison Pour Tous (MPT) Cesária-Évora a organisé un stage radio destiné aux habitant.e.s de la commune. L’objectif : faire émerger les bases d’une émission radio créée par et pour les Courneuvien.ne.s.

Pour beaucoup, c’est la surprise. En pénétrant dans la MPT Cesária Évoria, au 55 rue Henri Barbusse, tous ouvrent de grands yeux. Au milieu du hall, une table sur laquelle trônent en pagaille casques radio, micros, ordinateurs et une console de mixage. Un équipement flambant neuf, propriété de la commune, mis à la disposition de tous. Chaises et fauteuils sont disposées en cercle. « Aujourd’hui nous allons apprendre à faire de la radio ! », clame alors Fali Rabé, responsable de l'atelier sociolinguistique de la MPT, à la quinzaine de personnes réunies. Certains viennent sciemment pour participer à l’atelier quand d’autres attendent simplement d’être reçus pour des conseils juridiques ou par l’écrivain public.

Du 3 au 8 février, la MPT propose un stage radio entre ses murs : « Tous les matins, nous organiserons un comité de rédaction avec les habitants. L’après-midi, nous ferons les sujets, ce qui nous permettra de les monter dans la foulée et de les diffuser le soir, sur le site de la mairie », indique Fali Rabé. « C’est un exercice libre. Les gens parlent de ce qu’ils veulent, en français ou dans leur langue », ajoute-t-il. Pour l’appuyer dans sa mission, il peut compter sur Mélanie Péclat, créatrice sonore, Lucie Bortot, musicienne et également créatrice sonore, et Martin Bodrero, journaliste, chargé de projet pour l’association La Porte à coté, à l’origine de cette formation. 

La fabrique de l’info

Les intervenants détaillent ainsi l’organisation d’une émission radiophonique. Pour Mélanie Péclat, « cette initiation permet de faire à la fois de l’éducation aux médias, un cours de français donne aux gens quelques notions d’empowerment », un concept américain, que l’on pourrait traduire par l’idée de redonner du pouvoir à des personnes qui n’en ont habituellement pas sur leur existence. Viens ensuite la recherche de sujets à aborder. Les idées fusent. Une femme souhaite lire un poème en chinois. Une autre veut organiser un débat sur les écrans et leurs conséquences sur les jeunes avec l’aide d’un psychologue. « On a qu’à faire venir Macron ici qu’il voit comme on vit », interpelle Nadja. « Ou Mbappé. S’il vient par contre j’amène mon fils », plaisante-t-elle.

L’idée d’une chronique humoristique émerge autour des maris : « Ils ne savent jamais où sont rangées les choses. Où sont mes habits ? Où est ceci ? Où est cela ? Même la chambre, ils ne savent pas où elle est », lance Kahina. Rire général. Au fil des propositions, les sujets s’affinent et tiennent compte des préoccupations des habitants : la réouverture prochaine de la médiathèque John Lennon, les travaux sur le territoire, le chantier de la future gare des Six-Routes, les problèmes de transports ou encore les municipales. L’émission trouve alors naturellement son titre : « La radio pour tous ».

Un média citoyen

Une fois les sujets listés, ne reste plus qu’à créer le générique du futur programme. Tour à tour, hommes et femmes posent leurs voix, disent bonjour et présentent en quelques mots l’émission. Le français se mêle ainsi au kabyle, à l’arabe littéraire, au chinois au bengalie ou encore au soninké. Certains manipulent déjà la console de mixage. Les plus timides se font aider. D’autres, pleins d’assurance, y vont carrément. Les femmes de l’atelier de couture se joignent à l’équipe qui semble se constituer. « A terme, nous aimerions réaliser une émission tous les mois ou tous les deux mois avec un groupe moteur d’habitants et d’autres qui pourraient nous rejoindre. L’objectif est de créer une information faite par et pour les habitants », indique Magali Chastagner, directrice de la MPT. « On reprend le modèle des premières radios libres », constate Martin Bodrero. « Un peu comme ce qui s’est fait en Lorraine, dans les années 70 où la CGT avait créé une radio à Longwy, Lorraine Cœur d’Acier, pour permettre aux ouvriers de prendre la parole et de raconter leur vie ».

Tout au fond de la salle, Mohand demande à enregistrer une seconde fois sa prestation. Venu avec sa belle-fille pour voir l’écrivain public, il se prend au jeu de la radio. Enthousiaste, il promet de revenir le lendemain : « Je veux parler de la planète. De l’environnement, des étoiles, des rochers. De ce que les yeux voient et de ce que les oreilles entendent dans la nature. Je vais aussi venir chanter en kabyle ». Ses yeux bleus scintillent au moment de quitter les lieux. Chacun retourne à son quotidien une fois la séance terminée. Dehors, tout près de la MPT, sur une barre d’immeuble désossée par les travaux on peut lire cette phrase : « Histoires et humeurs d’humains migrateurs ». Echo involontaire d’émissions à venir…

Texte : Ludovic Clerima ; photos : Léa Desjours