Fenêtres et volets, isolations, carrelages et dallages, cloisons... Tous les éléments non structurels, ainsi que les matériaux amiantés, sont en train de disparaître du bâtiment emblématique des 4000. Après cette phase de curage et de désamiantage, la démolition proprement dite devrait débuter en avril, avec le grignotage du «squelette» de béton.
Mardi 4 février, 8h30. Hissés sur une nacelle volante, des ouvriers arrachent les couches de polystyrène isolant la façade de la cage 8 et les jettent dans la benne de tri installée au pied de la barre Robespierre. Le curage, qui consiste à déshabiller le bâtiment de tout ce qui n’est pas en béton ou en métal, est bientôt fini : « On est à 90 % d’avancement, on n’a pas pris de retard par rapport au calendrier prévisionnel, note Jaouad Azelmad, directeur des travaux au sein de l’entreprise chargée de la déconstruction 4D Démolition. En parallèle, on continue les travaux de désamiantage, on est à 35 % d’avancement, dans les délais prévus aussi. Les équipes de cureurs et de désamianteurs peuvent travailler en même temps parce qu’elles n’interviennent pas sur les mêmes zones : il y a cinq cages d’escalier séparées par des joints de dilatation, alors il y a comme cinq structures indépendantes. »
Ce matin, six opérateurs s’apprêtent ainsi à procéder au déconfinement de la cage 2, c’est-à-dire à l’enlèvement des extracteurs, des films polyane de protection et des entrées d’air qui servent à confiner la zone des travaux de désamiantage, « à protéger l’extérieur de l’intérieur ». Les analyses ont en effet montré qu’il n’y avait plus aucune fibre d’amiante dans les locaux. Certifiée, la société 4D Démolition a fait réaliser des prélèvements en phase conception pour localiser et identifier les matériaux amiantés puis a établi un plan de retrait, envoyé pour vérification et éventuelle correction aux organismes étatiques compétents. C’est que le désamiantage est une activité strictement réglementée et soumise à des contrôles réguliers, pour garantir la totale sécurité des riverain-e-s et des travailleur-euse-s sur le chantier. « Ce n’est pas n’importe quel ouvrier du bâtiment qui peut effectuer ces travaux ! » rappelle Jaouad Azelmad. Avant de pénétrer à l’intérieur de la zone de travail, les opérateurs formés au retrait de l’amiante enfilent des « équipements de protection individuelle » (EPI) : une combinaison et des accessoires jetables ainsi qu’un appareil de protection respiratoire, qu’ils colmatent avec du Scotch pour empêcher la moindre infiltration. Quinze minutes de préparation avant d’entrer et quinze minutes de préparation avant de sortir, avec un dépoussiérage de la combinaison, une douche de décontamination tout habillés puis une seconde douche d’hygiène. Quant aux déchets amiantés, « ils sont doublement ensachés, évacués par le sas déchets, conditionnés dans des big bags de 1m3 fermés de manière étanche avec la méthode du col de cygne et entreposés provisoirement à côté du bâtiment, avant d’être envoyés au centre d’enfouissement de Villeparisis, deux fois par mois environ », indique le directeur «de 4D Démolition.
"On prend toutes les précautions et les garanties possibles"
Une fois ces travaux finis, la phase d’abattage mécanique assisté pourra commencer : une pelle de 120 tonnes équipée d’un bras long, pouvant atteindre une hauteur de 45 mètres, et une pelle de 50 tonnes en soutien viendront « manger » la barre aux 15 étages et aux 306 logements. Pas question en effet de passer par une démolition à l’explosif sur ce chantier, inscrit dans un tissu urbain très dense. Les engins d’abattage arriveront en morceaux par convoi exceptionnel et seront montés et assemblés sur place. Une étape que le propriétaire et maître d’œuvre Plaine Commune Habitat veut célébrer en organisant un événement spécial, en partenariat avec la Ville. « On n’en a pas encore complètement défini le contenu et la forme, mais on tient à poursuivre le travail de mémoire engagé par le collectif Random, explique Elsa Morillon, cheffe de projets Rénovation urbaine à Plaine Commune Habitat. C’est très important d’inviter tous les anciens résidents et les riverains avant le premier coup de pelle, pour qu’ils puissent dire adieu à Robespierre. » Plusieurs mesures sont prévues pour limiter au maximum les diverses nuisances issues de cette démolition. Au niveau des gravats, un tapis de protection vertical et des merlons anti-rebonds permettront d’éviter les projections. Au niveau des poussières, des canons à eau serviront à capter et à rabattre les émissions. Un dispositif de brumisation plus puissant que l’arrosage utilisé sur le chantier de démolition du centre commercial Paul-Verlaine. « On ne peut pas atteindre complètement le zéro poussières, précise Robert Messia, responsable des travaux à Plaine Commune Habitat, mais on a inclus un nettoyage des avoisinants si et autant que besoin. » Au niveau du bruit enfin, des horaires de chantier seront imposés aux entre- prises – 8h-12h et 13h-18h du lundi au vendredi et 8h-12h et 13h-17h le samedi – et les camions ne circuleront qu’en semaine. « On prend toutes les précautions et les garanties possibles et on ne fait pas la course, insiste Robert Messia. S’il y a un dépassement de délai, on pourra l’expliquer. C’est une mission délicate, cette démolition ! » Et un changement immense qui s’annonce dans ce quartier en pleine mutation.
Textes : Olivia Moulin ; photos : Léa Desjours
L’amiante, qu’est-ce que c’est ?
400 à 500 fois plus fines que des cheveux, les fibres d’amiante sont des fibres minérales naturellement présentes dans les roches. Connu et utilisé depuis la préhistoire, l’amiante a été massivement employé des années 1950 aux années 1980 dans le secteur de la construction, en raison de ses propriétés physico-chimiques très intéressantes – résistance à la chaleur, au feu, à l’usure, aux produits chimiques et aux contraintes mécaniques et pouvoir d’isolation thermique, acoustique et électrique – et de son très faible coût. Il s’est pourtant vite révélé extrêmement dangereux pour la santé : une fois inhalé, l’amiante peut provoquer différentes pathologies pleuro-pulmonaires, dont des cancers. Un enjeu de santé publique et de santé au travail qui a poussé les autorités à interdire la fabrication, la transformation, la vente et l’importation de l’amiante sur le territoire français à partir du 1er janvier 1997.
Portes et clapets coupe-feu, plafonds et faux-plafonds, mastics, colles et peintures, joints de chaudière, toitures et bardages, panneaux de façade, revêtements de sols et de murs, conduits et canalisations... Même si l’amiante est encore présent dans de nombreux bâtiments et équipements publics ou privés construits avant 1997, c’est seulement quand il est volatile qu’il peut être inhalé, et non pas quand il est emprisonné, « lié », dans un matériau. Et c’est seulement en cas d’usure liée au vieillissement ou en cas de dégradation liée à certaines interventions (perçage, ponçage, découpe, frottement...) qu’un matériau amianté peut libérer dans l’air ambiant des fibres d’amiante susceptibles d’être inhalées.
Pour les bâtiments – immeubles d’habitation collective ou maisons individuelles – conçus avant 1997 comme la barre Robespierre, la législation impose un repérage des matériaux et produits amiantés avant toute transaction immobilière ou tout projet de démolition. Ce « diagnostic amiante » doit être réalisé par une entreprise spécialisée et certifiée, tout comme les travaux de confinement et de désamiantage, obligatoires à partir d’un seuil de 5 fibres d’amiante par litre d’air.
Sur le chantier de déconstruction de Robespierre, les déchets se transforment en ressources
Revaloriser plus de 90% des matériaux issus du curage et de la démolition, c’est l’objectif que s’est fixé l’entreprise en charge des travaux 4D Démolition. L’enjeu est de taille: chaque année dans l’Hexagone, le secteur du bâtiment produit plus de 40 millions de tonnes de déchets. « On s’inscrit dans une logique d’économie circulaire », explique le directeur des travaux Jaouad Azelmad. « Déchets industriels banals » (DIB), isolants thermiques extérieurs (ITE), plâtre, bois et plastique : ces déchets dits « non dangereux » sont ainsi collectés, triés et traités par la société spécialisée Allieco Environnement. Quant aux déchets de béton provenant de la structure (soit 15 000 tonnes), dits « inertes » parce qu’ils ne se décomposent pas et ne nuisent ni à l’environnement ni à la santé, ils seront broyés par un concasseur mobile installé sur l’emprise du chantier, puis réemployés directement sur place pour remblayer les fondations de la barre Robespierre. « Ça permet non seulement de réduire considérablement les rotations de camions qui évacuent les déchets, mais aussi de donner une seconde vie au bâtiment. »