Lawrence Valin - « J’en ai eu vite marre de jouer l’Indien de service »

Publiée le 19 sept. 2019

Lawrence Valin - « J’en ai eu vite marre de jouer l’Indien de service »

Lawrence Valin

Fils de réfugiés politiques venus d’Inde et du Sri Lanka, Lawrence Valin a passé une partie de son enfance et de son adolescence à La Courneuve. Porté par l’amour du cinéma, il multiplie les casquettes et les projets avec un mot d’ordre : ne pas se laisser enfermer dans une case.

Dans le bar où il a donné rendez-vous, Lawrence Valin parle, beaucoup, et rigole, beaucoup aussi. Rien à voir avec les personnages taiseux et sombres qu’il interprète dans ses deux films parsemés d’éclairs de violence, Little Jaffna, incursion dans les gangs tamouls du quartier de La Chapelle à Paris, et The Loyal Man, romance entre l’homme de main d’un mafieux tamoul et une clandestine. « Quand on évoque les communautés dans le cinéma français, on a tendance à faire des comédies. Je voulais au contraire montrer la violence qui existe chez les Tamouls : on a vécu avec la guerre civile au Sri Lanka ou avec ses échos. » Sortir des clichés et des assignations, c’est ce que Lawrence Valin essaie de faire depuis qu’il s’est découvert, à 8 ans, une vocation pour le métier de comédien. « Un “métier de Blancs”, d’après les membres de ma famille. Pour eux, l’intégration dans la société passe par une carrière de médecin, d’ingénieur ou d’avocat. »

Lawrence Valin plaque tout pour intégrer l’atelier de théâtre Blanche Salant

Il enchaîne ainsi les allers-retours quotidiens entre La Courneuve, où il a vécu de 8 à 15 ans, et l’établissement privé parisien Saint-Michel de Picpus où sa mère, alors femme de ménage et garde d’enfants, a tenu à l’inscrire. « J’arrivais à m’adapter, mais j'étais en échec scolaire. J’ai commencé à travailler quand j’ai rejoint un lycée public. » Après le bac, il entame un BTS Management des unités commerciales en alternance et suit à l’occasion ses premiers cours de théâtre. C’est le déclic. Lawrence Valin plaque tout pour intégrer l’atelier de théâtre Blanche Salant où est passé Vincent Cassel, son acteur modèle, adepte des métamorphoses à l’hollywoodienne comme il les aime. En dépit de cette formation, le jeune homme, qui a opté pour un nom de scène francisé, plus facile à prononcer et à retenir que son nom d’origine, Visvalingam, se voit proposer très peu de castings et très souvent des rôles stéréotypés. « J’en ai eu vite marre de jouer l’Indien de service, un gentil vendeur de roses ou de marrons, marre de devoir prendre “l’accent indien”, alors j’ai décidé d’écrire mes propres scénarios. »

"Avant, j’étais en conflit avec mes origines, puis j’ai décidé d’en faire une force"

En 2016, il réussit le concours d’entrée du programme La Résidence, une formation courte et intensive pour les jeunes non diplômés issus de milieu modeste, lancé par La Fémis, prestigieuse école de cinéma. « On est placés dans la case “diversité” et on a l’impression d’être un cas social quand on arrive là-bas, commente-t-il, mais c’est normal de donner une chance aux personnes qui n’ont pas forcément les codes et les moyens pour faire du cinéma ! » De ce cursus naît son court métrage Little Jaffna et son attachement à représenter la communauté tamoule dans ses réalisations, à sa façon. « C’est venu tout naturellement. Avant, j’étais en conflit avec mes origines, puis j’ai décidé d’en faire une force. » Récompensé en 2017 par le Grand Prix Cinébanlieue, puis en 2018 par le Prix Canal+ au Festival international du court métrage de Clermont-Ferrand, le film lui sert de carte de visite. « J’ai commencé à être contacté par des producteurs pour faire un long métrage, mais j’avais encore besoin de me former. » Avec le moyen métrage The Loyal Man, dont il a bouclé le tournage en juillet, il découvre la pression, mais se sent désormais légitime comme réalisateur. La preuve, à tout juste 30 ans, il vient de mettre un point final au scénario de son premier long métrage, Eelam, qu’il espère tourner en 2020. Avec ses films, Lawrence Valin veut montrer aux jeunes issus des quartiers populaires qu’ils peuvent faire du cinéma et provoquer des changements.  « Quand on réalise, on est maître de son projet, on ne dépend pas de la volonté des autres. Mais le jeu reste mon moteur. » Grâce à sa casquette de réalisateur, il reçoit d’ailleurs des propositions plus intéressantes et diversifiées en tant que comédien. Depuis août, il est à l’affiche du huis clos mi-comique mi-dramatique Hauts perchés, d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau, dans le rôle d’un jeune homme gay. Loin des clichés et des assignations.

Texte : Olivia Moulin ; Photo : Léa Desjours

 

Le festival Cinébanlieue, un réservoir de talents

Depuis 2006, le festival Cinébanlieue s’emploie à changer le regard sur la banlieue et ses habitant-e-s et à soutenir la création artistique et culturelle de ce que sa fondatrice et directrice Aurélie Cardin, enfant d’Aubervilliers, appelle « la marge, la périphérie ». Aux côtés des courts-métrages en compétition, Cinébanlieue propose une sélection de films sur un thème d’actualité et des projections en avant-première. En treize ans, le festival a révélé plusieurs talents autodidactes comme Maïmouna Doucouré, réalisatrice du court-métrage phénomène Maman(s) ou Alice Diop, auteure du documentaire Vers la tendresse, récompensées toutes les 2 au Festival de Cannes 2017.

Pour Lawrence Valin, qui a d’abord découvert Cinébanlieue comme comédien en 2015, avec le film en compétition Paki’s Flowers, le festival a vraiment servi de tremplin. D’abord avec le dispositif Talents en court, qui permet à des aspirants cinéastes de « pitcher » leur projet de film à des professionnels et d’entrer éventuellement en contact avec des producteurs, puis avec la récompense attribuée à sa première réalisation, Little Jaffna, en 2017. « Les organisateurs de Cinébanlieue m’ont donné ma chance, insiste-t-il, c’est en partie grâce à eux que j’ai pu tourner mes films. »

Parrainée par Reda Kateb, la prochaine édition du festival Cinébanlieue se tiendra du 6 au 15 novembre 2019 dans les cinémas L’Écran à Saint-Denis et UGC Ciné Cité Paris 19, ainsi qu’au Comedy Club, la salle de stand-up créée par Jamel Debbouze à Paris

 Plus d'infos sur : https://www.cinebanlieue.org/.

 

Son film The Loyal Man en avant-Première au Max Linder Panorama !

Rendez-vous le samedi 21 septembre à 11h00, au 24 Boulevard Poissonnière, 75009 Paris. L'équipe du film sera présente.
Projection gratuite, il suffit de réserver vos places sur : julie@agatfilms.com.

Pour visionner la bande annonce : c'est ici !